1770-06-18, de Pierre Michel Hennin à Voltaire [François Marie Arouet].

Nous n'allons pas du même pas M. et ce n'est pas le moyen d'obtenir Justice.
Je ne ferai point usage de la déposition de Dalloz et le mieux à tous égards est de ne pas la laisser paroitre et s'il est possible d'en retirer la minute de votre greffe comme inutile pour le moins. Celui de mes gens qui étoit présent n'a rien entendu qui me compromit. Le sergent a dit sur ce que votre homme demandait d'être conduit chez moy, Qu'est il affaire qu'on te conduise chez le Résident? Peut être est ce là qu'il a ajouté va te grater le Cul, sinonime genevois du V[… …]. L'autre témoin dit que s'il avoit été question de moi comme de vous et comme il en sentoit […] il n'auroit pas manqué d'en porter plainte sur le champ au Capitaine. Aureste quand cet homme et le visiteur m'auroient mêlé dans une sottise il faudra toujours commencer par la première cause de la querelle.

1. Dalloz ne dit pas un mot de ce que les témoins déposent sçavoir que le visiteur en sortant de son bouge dit, Il faut l'envoyer en prison, qu'est il besoin de la ménager? Il appartient à ce B… de Voltaire. Ce qu'il a répété plusieurs fois et le sergent a renchéri sur ces expressions. Sur quoi mon cocher leur dit qu'ils étoient de grands J. f. de parler ainsi d'un homme comme vous et il alloit continuer lors que le domestique de ma soeur prit aussi votre deffense en termes plus polis comme il convient à un laquais de cour qui sort de chez M. le D. de Praslin. Voilà ce dont j'ai porté plainte.

2. Dalloz pourra se trouver seul à soutenir que j'aye été mis en jeu dans les sottises de ces messieurs et dès lors il perdrait créance. On insistera sur ce point douteux pour faire tomber les autres qui sont le fond du procès. La circonstance que Dalloz rapporte est un grand grief de plus, mais n'est qu'accessoire.

Si je produisois sa déposition de Ferney où il déclare qu'il n'a rien à dire de plus que ce qu'elle renferme ni vous M., ni peut être moy ne pourrions rien obtenir en justice parce qu'il n'y auroit qu'un témoin pour l'article qu'il attribue au sergent, et que le quidam à qui il fait dire la plus grosse sottise ne se trouveroit pas.

Je compte que Dalloz passera demain ici. Je l'envoyerai chez l'auditeur faire sa déposition et lui recommanderai d'entrer dans le plus grand détail, de dire ce qu'il a entendu, ce qu'il m'a raconté et ce qu'il n'a peut-être pas voulu faire par un respect louable pour vous. Enfin voici ma marche. On a maltraité votre homme sans raison, on vous a insulté à la face de trente témoins, dont j'en produis 4 ou 5 qui ont parlé, Dalloz de plus dit qu'on m'a mêlé dans les sottises qu'on lui a dites. Je demande réparation de ces faits. C'est ainsi qu'il faut traiter cette affaire. Je demande que le visiteur perde sa place, que le sergent soit cassé à la tête de la garde et s'il m'a mis même indirectement dans ses sottises qu'il soit mis en prison jusqu'à ce que je l'en fasse sortir.

J'ai déjà avis qu'on est bien fâché de cette algarade, et qu'on se dispose à faire ce qui convient pour que ni vous ni moi n'ayons à nous plaindre. Pardon M. de ce Plaidoyer. Plus ces gens cy sont répréhensibles plus il faut être exact.

C'est une bonne chose M. que de rire et de faire rire les ministres quand ils en ont le tems. Mais j'ai commencé cette affaire sérieusement, continuons la de même je vous supplie. Envoyez Dalloz. Il est dans la règle qu'il dépose à Geneve puisque le délit s'est commis à Geneve et que j'en ai porté la plainte au Magistrat. Suspendez de faire passer à M. le Duc la déposition qui n'est pas assez grave pour faire impression et qui à l'examen se réduiroit à peu de choses. Laissez moi faire mon métier comme je l'entends, et continuer cette affaire que mon respect et mon amitié pour vous m'ont fait entamer. Il n'importe pas seulement qu'on sçache que la canaille de Geneve est insolente, il faut qu'elle cesse de l'être. On a déjà ôté le visiteur de son poste. J'aurai si je puis l'hr de vous voir ce soir. J'espère que vous envoyerez votre homme sur le champ. S'il ne paroissoit pas mrs de Geneve diroient qu'on ne les a pas mis à portée de faire justice et votre plainte â M. le Duc seroit sans effet. D'ailleurs vous me mettriez dans la nécessité de ne pas poursuivre et j'aurois fait à votre considération une fausse démarche.