16^e Mars 1770

Vraiment, Monsieur, je ne me plains point de Bougroz; mais je plains beaucoup ceux qu'il a volez.
Sa femme et lui sont fort adroits. Ils enlevèrent tous leurs meubles pendant la nuit sous le nez de leur hôtesse, emportèrent la clef de l'apartement, laissèrent pour environ six cent livres de dettes, et vinrent tranquilement vous demander un passeport.

Ce Bougroz a été garde du corps dans la compagnie de Noailles, chassé probablement pour des tours semblables et envoié en Amérique. Il se fit depuis chirurgien, médecin et apoticaire. Il est très violemment soupçoné d'avoir empoisoné à Ferney, une pauvre fille de Suisse qu'il disait sa femme.

Tout ce qu'on pourait faire en faveur de celle qu'il a emmené, en Languedoc, et avec laquelle il a fait un contract en Suisse, serait de l'exhorter à n'être jamais purgée de sa façon.

Je pense d'ailleurs que vous pouriez lui faire envoier son attestation de Divorce, mais avec une boête de contrepoison.

Voilà tout ce que je sais de Bougroz.

Quant à M^r L'a[m]bassadeur, si c'est Monsieur Le BARON DE PHILIBERT, il est bon qu'on en soit instruit à Versailles pour le recevoir selon sa dignité.

On prétend que M^r Le Duc est fort mécontent de M^r L'abbé, je le défie de l'être plus que moi; j'aiderai pourtant à la colonie autant que je le pourai, quoi qu'on m'ait pris une somme terrible.

Il y a deux Emigrans à Ferney, l'un nommé Vaucher, l'autre Gaubiac qui veulent ravoir leurs femmes et leurs éffets. On les a menacés de la prison s'ils reviennent à Genêve, parce qu'ils n'ont pas fait le serment. Je pense que vous pouriez leur accorder un passeport comme à des Français; mais en attendant j'envoie leur placet à M^r Le Duc, et je le prie de vous le renvoier apostillé.

On m'a assuré que l'ambassadeur qui est séduisant, séduirait M^r De Taulès contre vous, et que tout deux séduiraient M^r De Bournonville, lequel séduirait M^r Le Duc. Je doute beaucoup de toutes ces séductions. Vous savez avoir raison et plaire. Vous avez séduit mon cœur pour tout le tems qu'il battra dans ma pauvre machine.

Comme le Pape me fait des compliments par M^r le Cardinal de Bernis, je vous prie, Monsieur, de recevoir ma bénédiction séraphique.

frère François Capucin indigne