à Geneve le 17 fév. 1770 à dix heures du soir
M. Fabry que j'ai engagé à passer chez vous vous aura instruit sans doute Mr de l'état où il a laissé cette ville.
Il se sera peut être rappellé aussi la manière dont j'ai fait sentir à M. le Conser Cramer qu'il importoit que ceci finit sans cruauté et la réponse qu'il m'a faite très capable de rassurer sur le sort des prisonniers.
Les Vanieres sont en sûreté chez eux, on m'a fait valoir le soin qu'on a eu de les empêcher d'aller rejoindre leur compagnie où ils auroient pu être insultés.
Comme j'ai ordre de ne me mêler de rien je ne puis faire aucune démarche, mais sous prétexte de dire mon avis sur les faits je fais sentir sans me compromettre qu'on a les yeux ouverts sur la conclusion de cette étrange avanture.
Croiriez vous bien M. que j'ai été pendant toute la journée du Jeudy presque seul à regarder ce qui se faisoit comme une atrocité des uns et une balourdise des autres? Hier quelques gens commencèrent à se demander si l'émétique n'étoit pas trop violent. Aujourd'huy il n'y a pas un très grand nombre de personnes qui ne blâment ce qui s'est fait et beaucoup en frémissent. Mais malheureusement le reste est armé et triomphe avec l'insolence que tant bien connoissez.
Les Natifs insultés à chaque moment par la canaille représentante sont dans l'état le plus cruel. Je ne crains qu'une chose, c'est que les syndics et conseils qui se sont laissé entrainer à une démarche qu'ils s'efforceront en vain de justifier ne se soient tellement mis dans la dépendance des Commissaires qu'ils ne soient pas maitres de replâtrer par la douceur la faute qu'ils ont faite. Mais s'il en étoit besoin je ne prendrois conseil que de l'humanité.
J'ai peut-être écrit cent pages infolio pour annoncer ce qui arrive et la nécessité de s'occupper de bâtir des maisons à Versoix, mais on a bien d'autres choses à penser à Versailles. Il faut espérer qu'on se décidera maintenant, et avec quelque argent et de bonnes paroles tout ne sera pas manqué.
On ne parle plus de vous M. et ce ne seroit pas le moment je crois qu'on s'abonneroit bien pour que vous voulussiez ne rien dire. Laissons calmer tout ceci, et nous parlerons quand personne ne sera plus dans le lac.
Je vous ai bien reconnu aux dispositions que vous annoncez pour ceux qui abandonneront cette ville. Le nombre en pourra être grand. Puissions nous obtenir de quoi leur faire bénir leur nouvelle Patrie.
Je n'ai pas voulu me coucher M. sans causer avec vous. Selon toute apparence il me sera impossible de vous voir avant Lundy. J'ai mes gazettes à faire, je serai très aise d'y pouvoir dire que vous avez recueilli dispersiones Israelis et je vous félicite d'avance de tout le bien que vous ferez.
Mes respects à Mad. Denis.