1769-11-22, de Madur Du Lac à Voltaire [François Marie Arouet].

Monsieur,

J'ai chamaillé pendant trois ans avec mon curé et le clergé de ma petite ville, pour faire transférer le cimetière hors des habitations.
Je n'avais pour moi que l'intérêt public à faire valoir, et l'on sait combien il est faible dès qu'il est aux prises avec l'intérêt particulier: aussi j'avoue que si je n'eusse été encouragé par la sagesse des réflexions que vous avez publiées de temps à autre à ce sujet, et le ridicule que vous avez jeté sur l'usage contraire, je n'eusse jamais surmonté l'opiniâtre résistance de nos ecclésiastiques: il n'a pas dépendu d'eux que je passasse pour impie, mauvais chrétien &c. Je viens cependant de réussir, et mon premier soin est de remercier celui à qui je reconnais que nos habitants doivent ce bienfait. J'en suis d'autant plus glorieux que j'ai vu le parlement de Paris s'arrêter, à ce sujet, aux oppositions du clergé.

C'est à vous, monsieur, que la raison doit la supériorité qu'elle prend tous les jours sur les préjugés; mais que ses progrès sont lents lorsqu'elle attaque des pratiques superstitieuses! La mendicité vient d'être défendue en France; les maréchaussées ont des ordres sévères à cet égard; cependant je vois une foule de mendiants sous leurs yeux mettre impunément â contribution les villes et les campagnes, et faire parade de leur oisiveté comme d'une vertu. Est ce pour les favoriser qu'on enlève les véritables pauvres?…

J'ai l'honneur d'être &c.

M. D.