à Tongres ce 13e 8bre 1746
J'ay reçu, monsieur, votre lettre sur le champ de bataille.
Cela me paroît mériter quelque petit détail d'une journée aussi utile à la France que glorieuse à son défenseur. Comme j'imagine que vous saurez avant de recevoir ma lettre les principales dispositions de la bataille de Roccou je ne vous entretiendray que de la fermeté de nos troupes et de la prudence du comte de Saxe. Il fit passer Le Jaar à toutte son armée le 10, et la fit marcher le onze à la pointe du jour sur dix colonnes, sans compter celle de Mr Le M. de Clermont, qui devoit dépasser la gauche des ennemis appuyés au village d'Anse touchant presque aux faux bourgs de Liege. Par cette disposition ce village une fois emporté nous pouvions déboucher facilement par leur gauche et les prendre en flanc pendant que les dix colonnes de l'armée les auroient attaqués de front. L'armée des alliés étoit campée entre Les villages de Liers et d'Anse, les villages de Roccou et de Vilrouxà peu près au centre et des redoutes entre les villages du centre et celuy de leur gauche qu'ils abandonnèrent dès que mr le M de Clermont eut emporté le village d'Anse, qu'il attaqua avec beaucoup de vigueur et beaucoup de perte. C'est où mr de Segur a été blessé dangereusement.
Voilà l'époque du gain de cette bataille. Dès que les ennemis se virent pris en flanc et de front leur cavallerie qui […] sur les hauteurs se replia par leur droitte avec tant de rapidité que nos dragons, si accoutumés à courir, ne les purent jamais joindre. C'étoit un coup d'œil au dessus de la peinture, je vous aurois souhaitté témoin d'un pareil spectacle. Si nous avions été maîttres alors des villages de Liers et de Roccou nous les aurions coupés et toutte la cavallerie se seroit trouvé prise de touttes parts et entourée de façon qu'elle auroit été toutte prisonnière ou hâchée. Mais les dispositions de mr le Marquis de Clermont Gallerande qui étoit chargé de l'attaque de [? Liers] ne furent pas faittes assez promptement et les ennemis l'abandonnèrent dès que Roccou eut été emporté par la colonne que commandoit mr d'Herouville, C'est où mr de Fenelon fut tué,
C'est aussi à cette attaque que mr de [Lujeac] fut blessé et [? Caselt] de Beauvoisis, qui fit des prodiges de valeur en cette occasion, ayant marché droit au canon dont il s'empara malgré le feu de la Mousqueterie qui le défendoit. Nous avons perdu à cette attaque environ mil hommes, on estime que les alliés en ont perdu à peu près autant. La perte du côté de l'attaque de Mr le M. de Clermont a été un peu plus considérable de notre part. Les suittes de cette bataille sont d'une grande importance par l'effet qu'elles doivent faire sur les négociations. Les alliés ont perdu 73 pièces de canon, trois mil prisonniers sans compter ceux qui se sont noyés dans la nuit. Cette bataille et le siège de Port Louis levé doivent déterminer les hollandois à ce qu'il nous plaira à Exiger d'eux. Voilà une belle occasion pour la cour de France de faire la paix, l'avarice […] en a laissé échaper une à peu près pareille et aussi favorable. Puisse notre conseil étre plus éclairé et notre roy plus docile de même qu'il est plus heureux. Pour nous qui avons été spectateurs de la valeur de ses troupes il ne nous reste plus qu'à Retourner à la cour et entendre à Paris La célèbre MELANIE. Je suis tout à vous.
Le M. D.