1769-10-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Joseph François Luneau de Boisjermain.

Je suis très malade, monsieur, je ne verrai pas longtemps les malheurs des gens de lettres.

Je ne vois pas qu'on puisse rien ajouter, ni répondre au factum de m. Linguet.

Il me paraît que les toiliers, les droguistes, les vergettiers, les menuisiers, les doreurs, n'ont jamais empêché un peintre de vendre son tableau, même avec sa bordure. M. le doyen du parlement de Bourgogne veut bien me vendre tous les ans un peu de son bon vin, sans que les cabaretiers lui aient jamais fait de procès.

Pour les gens de lettres, c'est une autre affaire, il faut qu'ils soient écrasés, attendu qu'ils ne font point corps, & qu'ils ne sont que des membres très épars.

En 1753 on me proposa de faire à Lyon une très jolie édition du siècle de Louis XIV; une personne très intelligente & très bienfaisante, persuada au cardinal de Tencin que c'était un livre contre Louis XIV, le cardinal l'écrivit au roi, & j'ai vu la réponse de s. m.

La vie est hérissée de ces épines, & je n'y sais d'autre remède que de cultiver son jardin.

J'ai l'honneur d'être &c.

Voltaire