Je reçois mon cher ami, vôtre Lettre du 9e juillet.
Lorsque je vous écrivis je fis mes remontrances à Jeanmaire par le même ordinaire; et dans ces remontrances je lui dis que si son affaire était manquée avec Dietrich, si le Duc son maître avait besoin d'argent pour la consommer et pour se libérer j'offrais de lui chercher sur mon crédit à Geneve, la somme dont S: A: pourait avoir besoin, que je me tiendrais trop heureux de les servir etca. Je me suis flatté qu'avec de pareils procédés je m'assurais l'estime et les bonnes grâces du prince. Je crois ne m'être pas trompé.
J'ai reçu enfin une Lettre de Jeanmaire; il me mande qu'il s'est nanti de quatrevingt seize mille Livres à moi apartenantes, savoir, vingt six mille en argent comptant, et soixante et dix mille Livres que S: A: me doit par des billets à ordre signés d'elle même. Mais il a si peu de soins, il est si négligent, il traitte cette affaire si cavalièrement, qu'il ne m'a pas seulement expliqué comment, en quoi, de qui il a reçu ces vingt six mille Livrs. Un trésorier doit avoir ses comptes en règle; il parait qu'il n'emploie pas avec moi cette méthode. J'ignore encor quelle conduite il aura. Tout ce que je sais c'est qu'il a mon argent, et qu'il faut ou qu'il me le rende ou qu'il m'envoie des mandats pour recevoir en quatre années la somme dont il est convenu avec vous, paiable par quartiers, à commencer du premier avril dernier.
Je vous prie, mon cher ami, de me mander ce qu'il vous aura répondu. On ne peut guères être plus embarassé que je le suis; mes arrangements avec ma famille en souffrent. Mandez moi je vous prie ce que c'est que cette terre dont Dietrich s'était emparé, ce qu'elle vaut, et si elle est bâtie, je vous serai très obligé.
NB: voicy les propres mots que m'écrit Jeanmaire du 2 juillet, Nôtre bonne foi, et nôtre reconnaissance égaleront la générosité avec laquelle vous vous êtes prêté à nos arrangements. Celà est positif, et il n'y a plus moien de reculer. Mais en pareil cas la reconnaissance est de l'argent comptant, et Jeanmaire doit comprendre qu'on me doit un quartier commençant au 1er avril. Il faudra bien qu'il remplisse tous ses engagements, il ne voudra pas rougir devant vous.
NB: Je vous envoie, mon cher ami, la copie de la lettre que je lui écris; il faut tirer toute cette affaire au clair.
Je vous embrasse, mon cher ami, de tout mon cœur.
V.
15e juillet 1769, à Ferney