1769-01-27, de Voltaire [François Marie Arouet] à Henri Louis Lekain.

J'ai prié, mon cher ami, le libraire Pankouke de vous faire avoir le grand et le petit siècle..
On dit que vous empêchez le petit siècle de tomber dans la fange, et que vous êtes prêsque le seul qui le souteniez par vos talents. Non seulement vous êtes un très grand acteur, mais vous en formez. Tâchez donc de ramener le bon goût comme vous avez ressuscité la belle déclamation. Dites à Mlle Vestris, je vous en prie, combien je m'intéresse à ses succez.

J'ai entendu parler des choses dont vous me dites quelques mots. J'imagine qu'elles iront bien puisque vous vous en mêlez. Vous n'êtes pas homme à faire les choses à demi; et quand on a pour soi les anges on est bien fort. Il est tems que l'opéra comique, et le singe de Nicolé ne soient pas les seuls qui fassent honneur à la nation.

Il y avait autrefois une jolie dame qui avait beaucoup de goût, elle protègeait le Catilina de Crebillon, et ne voulait pas que vous fussiez reçu à la Comédie. Le public est un peu plus juste, mais il ne l'est qu'à la longue; c'est un cheval indompté et capricieux qui ne marche bien que quand il a été longtems mené.

Je vous embrasse, mon cher ami, vous êtes le meilleur cavalier du monde.

V.