1769-01-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Louise Élie de Beaumont.

Jouissez, couple aimable; je suis fâché seulement que vôtre terre soit près de Rouen, et non pas près de Lyon.

Mon ami D'Amilaville n'était pas né, à ce qu'on m'a dit, loin de vôtre terre; je voudrais être vôtre vassal avec lui. Les gens qui pensent ont fait en lui une grande perte, il était le plus intrépide ennemi des persécuteurs.

Vous aprendrez sans doute avec satisfaction que tout commence à changer dans le parlement de Toulouse. Un homme assez considérable de ce païs-là me mande que la moitié du parlement est déjà éclairée; que toute la jeunesse pense comme vous et moi, qu'elle dit hautement qu'il faut faire amande honorable de l'arrêt contre les Calas. Je sonde ces bonnes dispositions pour savoir si les Sirven peuvent en sûreté aller purger leur décrêt à Toulouse. Vous avez tellement éclairci cette abominable affaire, qu'il me parait impossible qu'ils n'obtiennent pas une entière justice, pourvu que le fanatisme ne s'en mêle pas.

Ce que vous m'écrivez sur la chute originale, a été traitté fort au long dans plusieurs livres nouveaux, et entre autres dans l'a b c, traduit de L'anglais de Hut. Vous savez qu'un Africain nommé Augustin est le premier qui ait levé cet étrange lièvre. Il n'en est pas dit un seul mot dans les évangiles. Saul-Paul n'en a parlé que fort obscurément. Il se passa près de quatre cent ans avant qu'on agitât cette question. Vous savez que Paris n'a pas été bâti en un jour; l'édifice dont vous parlez a été bâti en quinze siècles, aussi passe t-il pour être fort irrégulier. Je crois que ni vous, ni madame De Canon n'habitez guères cette maison ridicule. J'irai bientôt trouver d'Amilaville dans la sienne, mais malheureusement, on ne peut ni s'écrire ni se parler dans le païs qu'il habite. En attendant, soiez sûrs que je vous serai attaché jusqu'au dernier moment de ma vie avec autant d'amitié que d'estime.

V.