1769-01-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Chrysostome de Larcher, comte de La Touraille.

Vous êtes bien bon, Monsieur, de parler de microscopes à un pauvre vieillard qui a prèsque perdu la vue.
Il y a longtems que je suis accoutumé à voir grossir des objets fort minces. La sottise, la calomnie et la renommée, leur très humble servante, grossissent tout. On avait fort grossi les fautes du comte de Lally et les indécences du chevalier de La Barre. Il leur en [a] coûté la vie. On a grossi les panégiriques de gens qui ne méritaient pas qu'on parlât d'eux. On voit tout avec des verres qui diminuent ou qui augmentent les objets, et prèsque rien avec les lunettes de la vérité.

Il n'en sera pas ainsi sans doute du livre de Mr L'abbé Régley que vous estimez. Je me flatte qu'il n'aura pas vu du jus de mouton produire des anguilles qui accouchent sur le champ d'autres anguilles. J'attends son livre avec d'autant plus d'impatience que je viens d'en lire un à peu près sur le même sujet. En donnant donnant. Aiez la bonté, Monsieur, de me faire avoir les découvertes microscopiques et je vous enverrai les singularités de la nature.

Cette nature est bien plus singulière dans nos Alpes qu'ailleurs; c'est tout un autre monde. Le vôtre est plus brillant. Je remercie le digne petit fils du grand Condé de daigner se souvenir de moi du sein de sa gloire. Je me mets à ses pieds avec la plus respectueuse reconnaissance, et je vous demande instamment la continuation de vos bontés.

V.