1768-11-20, de Charles Joseph, prince de Ligne à Voltaire [François Marie Arouet].

Je n'ai pas l'honneur d'être un colimaçon, monsieur; je n'en ai pas le plaisir non plus; et c'est ce qui me fâche.
Si j'y ressemble un peu ce n'est point en beau et je le dois à tant d'Oolla et d'Olyba qu'il y a dans le monde et qui ont suivi le texte du prophète.

Mais, monsieur, vous qui allez ramassant tous les objets, qui daignez mettre en honneur ceux qu'on foule aux pieds, et qui de tant d'animaux que vous avez vus dans votre vie, ayant beaucoup voyagé, avez bien voulu distinguer le colimaçon oublierez vous une bonne créature de dieu, moins intéressante, mais qui vous est si attachée?

Si vous ne voulez pas que je vous perde de réputation, que je dise à toute la terre que vous m'avez reçu avec bonté, que vous m'en avez témoigné longtemps après, dépêchez vous de m'en assurer encore.

Je parle de vous dans ce moment-ci à un baron de mon pays qui arrive de chez vous, il me rassure sur vos yeux, et me crève les miens, en m'apportant toutes vos nouvelles gaietés philosophiques et bien chrétiennes assurémt.

Que le dieu d'Abraham, si l'on veut ou celui de la Pierre, ou celui de Socrate vous traite toujours aussi favorablement que vous nous avez traités. Qu'il vous fasse autant de bien que vous nous en faites. Qu'il vous rende la santé comme vous rendez le calme à notre âme, la force à notre esprit; qu'il vous conserve vos deux lumières, à vous qui êtes celle du monde.

Et qu'il me fasse colimaçon. Je serai couru des jolies femmes et des jolis garçons. Vous ferez cas de moi un instant. C'est la chose que je désire le plus au monde.

J'ai l'honneur d'être.

monsieur

Comme quelqu'un qui vous aime tendrement; qui vous respecte de tout son cœur, qui a deux portraits de vous à côté de son lit, vos ouvrages dans la tête, votre philosophie dans le cœur.

Le prince de Ligne