1768-11-16, de Étienne François de Choiseul-Stainville, duc de Choiseul à Voltaire [François Marie Arouet].

L'abbé de La Bléterie n'a jamais dit que vous aviez oublié de vous faire enterrer; je l'aime trop pour qu'il ait pensé à dire ce qui me serait très désagréable; il ne vous a point eu en vue du tout dans les notes de son ouvrage; il me l'a juré, et, pour peu qu'on le connaisse, l'on est obligé de le croire.
Il y a dans tout cela un malentendu et une tracasserie d'auteur qui est bien au dessous de vous. Je suis toujours étonné de la chaleur que vous mettez aux moindres traits qui vous approchent, et que vous ne sentiez pas que cette chaleur, qui est un chagrin pour vous, est précisément le but de vos ennemis; ils ne peuvent pas vous faire couper la langue, mais ils vous rendent malheureux. L'on débitait chaque jour pendant la régence de la reine mère des vers contre elle; elle se fâcha et fit punir ceux qui les affichaient, etc. Cependant l'acharnement en ce genre augmentait à mesure que l'on punissait et fut au point que, dans une petite place au bout du Pont Neuf appellée la place des Trois Maris, l'on afficha qu'elle était une putain de toutes les manières possibles; comme l'on disait que c'était du cardinal Mazarin, elle le consulta sur les moyens de faire cesser cette licence; il lui répondit sagement qu'elle ne cesserait que quand elle n'en serait point affectée; la reine suivit son conseil, et l'on n'a pas depuis affiché de pièces scandaleuses contre elle.

Je vous envoie cette anecdote en reconnaissance du Siècle de Louis XIV, que je n'ai pas encore pu lire, mais que je lirai avec le bonheur et l'intérêt que je sens en lisant ce qui vient de vous.