15 d'octobre [1768]
Je ne sais plus où j'en suis, mon très cher et très aimable philosophe.
J'écrivis, il y a quinze jours, à l'ami Damilaville que des gens, qui revenaient de Barège, prétendaient ces eaux souveraines pour les dérangements que les loupes et les autre excroissances peuvent causer dans la machine; je le mandai sur le champ à notre ami. Je lui offris d'aller le prendre à Lyon, et de faire le voyage ensemble. J'adressai ma lettre à son ancien bureau du vingtième, adresse qu'il m'avait donnée; je n'ai eu de lui aucune nouvelle. Ce silence me fait trembler: il faut qu'il ne soit pas plus en état d'écrire que de voyager. Je vous demande en grâce de me dire en quel état il est. Et vous, mon cher philosophe, comment vous portez vous? que faites vous? La pluie des livres contre la prêtraille continue toujours à verse. Avez vous lu la Riforma d'Italia, dans laquelle le terme de canaille est le seul dont on se serve pour caractériser les moines? Per genus proprium et differentiam proximam.
Vous connaissez le petit abrégé des usurpations papales, sous le nom des Droits des hommes? Les philosophes finiront un jour par faire rendre aux princes tout ce que les prêtres leur ont volé; mais les princes n'en mettront pas moins les philosophes à la Bastille, comme nous tuons les bœufs qui ont labouré nos terres.
Il paraît des Lettres philosophiques où l'on croit démontrer que le mouvement est essentiel à la matière. Tout ce qui est pourrait bien être essentiel; car autrement pourquoi serait il? Pour moi, je cesserai bientôt d'être, car j'ai soixante et quinze ans, et je ne suis pas de la pâte de Moncrif. Quel cicéronien donnez vous pour successeur à mon ancien préfet d'Olivet, et qui me donnerez vous à moi? Je me recommande à vous, et je vous embrasse de tout mon cœur.