1768-08-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacob Vernes.

Je vous renvoie, Monsieur le philosophe prêtre, les remontrances du Gevaudan que vous avez eu la bonté de me prêter; vôtre ami Rustan est un peu brutal, c'est dommage, car il ne manque pas d'esprit.
Il est vrai qu'il ne sait ni ce qu'il dit ni ce qu'il veut. L'âge le meurira peut être; mais surtout il faut qu'il prenne des leçons de politesse soit de Jean Jaques, soit de sa paroisse de Londres.

Je n'ai point la profession de foi dont vous parlez; je me souviens de l'avoir vue. Je crois que vous la trouverez chez Chirol où je l'ai faitte acheter.

Je crois avec vous que le tems des usurpations papales est passé, c'est à dire qu'on n'en fera plus de nouvelles; mais une partie des anciennes durera encor longtems. Le christianisme, dites vous, est aboli chez tous les honnêtes gens; oui, le christianisme de Constantin, le christianisme des pères; mais le christianisme de Jesu subsistera. Vous avez grande raison d'appeller Jesu le premier des Théistes, car il ne reconnaissait qu'un seul Dieu, et comme vous avez fort bien dit, si on lui impute des sottises ce n'est ni sa faute ni la vôtre.

Je vous remercie des sermons de Samuel Bourn sur la religion naturelle. Il n'y a pas un mot dans ces quatre volumes du christianisme d'aujourd'hui. La religion se décrasse tous les jours, le dogme est siflé, et la vérité reste. Il s'est fait depuis quinze ans une étrange révolution dans l'esprit humain. Si on peut fermer les écoles de théologie, et établir à leur place des écoles de morale tout ira bien.

Soiez toujours libre et heureux.