18 7bre 1768
Il y a un Tronchin, mon cher ange, qui, lassé des tracasseries de son pays, va voyager à Paris et à Londres, et qui n'est pas indigne de vous.
Il a souhaité passionnément de vous être présenté, et je vous le présente. Il doit vous remettre deux paquets qu'on lui a donnés pour vous. Je crois qu'ils sont destinés à cette pauvre sœur d'un brave marin tué en Irlande, laquelle fit comme vous savez un petit voyage sur terre presque aussi funeste que celui de son frère sur mer. Apparemment qu'on a voulu la dédommager un peu de ses pertes, et qu'on a cru qu'avec votre protection elle pourrait continuer plus heureusement son petit commerce. Je crois qu'il y a un de ces paquets venu d'Italie, car l'adresse est en italien. L'autre est avec une surenveloppe à m. le duc de Praslin.
Pour le paquet du petit des Mahis, je le crois venu à bon port; il fut adressé il y a quinze jours à l'abbé Arnaud, et je vous en donnai avis par une lettre particulière.
Je crois notre pauvre père Toulier, dit l'abbé d'Olivet, mort actuellement, car par mes dernières lettres il était à l'agonie. Je crois qu'il avait 84 ans. Tâchez d'aller par delà vous et made D'Argental, quoique après tout la vieillesse ne soit pas une chose aussi plaisante que le dit Ciceron.
Vous devez actuellement avoir le Kain à vos ordres. C'est à vous à voir si vous lui donnerez le commandement du fort d'Apamée, et si vous croyez qu'on puisse tenir bon dans cette citadelle contre les sifflets. Je me flatte après tout, que les plus dangereux ennemis d'Apamée seraient ceux qui vous ont pris il y a cent ans Castro et Ronciglione; mais supposé qu'ils dressassent quelque batterie, n'auriez vous pas des alliés qui combattraient pour vous? Je m'en flatte beaucoup, mais je ne suis nullement au fait de la politique présente, je m'en remets entièrement à votre sagesse et à votre bonne volonté.
Je n'ai point vu le chef d'œuvre d'éloquence de l'évêque du Puy. Je sais seulement que les bâillements se faisaient entendre à une lieue à la ronde.
Dites moi pourquoi depuis Bossuet et Fléchier, nous n'avons point eu de bonne oraison funèbre? Est ce la faute des morts ou des vivants? Les pièces qui pèchent par le sujet et par le style sont d'ordinaire sifflées.
Auriez-vous lu un examen de l'Histoire de Henry 4 écrite par un Buri? Cet examen fait une grande fortune, parce qu'il est extrêmement audacieux, et que si le temps passé y est un peu loué, ce n'est qu'aux dépens du temps présent. Mais il y a une petite remarque à faire, c'est qu'il y a beaucoup plus d'erreurs dans cet examen que dans l'histoire de Henry 4. Il y a deux hommes bien maltraités dans cet examen, l'un est le président Hénault en le nommant, et l'autre que je n'ose nommer. Le peu de personnes qui ont fait venir cet examen à Paris en paraissent enthousiasmées. Mais si elles savaient avec quelle impudence l'auteur a menti elles rabattraient de leurs louanges.
Adieu, mon cher ange, adieu la consolation de ma très languissante vieillesse.
N. B. Vous sentez bien que la crême des fromages qu'on envoie à la sœur du marin est pour vous.
V.