1768-09-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

Je tiens ma parole à mes anges.
Je reçus leur paquet hier, et j'en fais partir un autre aujourd'hui. On jugera plus à son aise quand il n'y a point de ratures, point d'écriture différente, point de renvois, point de petits brimborions à rajuster et qui dispersent toutes les idées. J'ai appris enfin le véritable secret de la chose; c'est que cette facétie est de feu m. Desmahis, jeune homme qui promettait beaucoup, et qui est mort à Paris de la poitrine, au service des dames. Il faisait des vers naturels et faciles, précisément comme ceux des Guèbres, et il était fort pour les tragédies bourgeoises. Celle-ci est à la fois bourgeoise et impériale. Enfin Desmahis est l'auteur de la pièce, il est mort, il ne nous dédira pas.

Le possédé ayant été exorcisé par vous, a beaucoup adouci son humeur sur les prêtres. L'empereur en faisait une satire qui n'aurait jamais passé. Il s'explique à présent d'une façon qui serait très fort de mise en chancellerie. Je commence à croire que la pièce peut passer, surtout si elle est de Desmahis, en ce cas la chose sera tout à fait plaisante.

Il y a une insipide comédie sans sel ni sauce, qui s'appelle je crois: le Philosophe sans le sçavoir. Si les Guebres sont joués de même, ils feront un beau fracas, il y a des attitudes pour tout le monde. A genoux, mes enfants doit faire un grand effet, et la déclaration de César n'est pas de paille.

Melpomene avait besoin d'un habit neuf, celui-ci n'est pas de la friperie.

Que cela vous amuse, mon cher ange, c'est là mon grand but, vous êtes tous deux mon parterre et mes loges.

V.