31e auguste 1768
Je ne puis qu'aprouver le patriotisme de Monsieur Fitzgeral qui veut diminuer autant qu'il le peut l'horreur de la st Bartelémi d'Irlande.
J'en ferais bien autant si je le pouvais de la st Bartelémi de France. Il a raison de citer Mr Brouk qui parait prouver en effet que les catholiques n'égorgèrent que quarante mille protestants en comptant les femmes et les enfans, et les filles qu'on pendait au cou de leurs mères. Il est vrai que dans la première chaleur de ce saint événement le parlement d'Angleterre spécifia expressément le massacre de Cent cinquante mille personnes; mais il pouvait avoir été trompé par les plaintes indiscrètes des parents des massacrés. Peut être on éxagérait trop d'un côté, et on diminuait trop de l'autre. La vérité prend d'ordinaire un juste milieu, et quand nous suposerons qu'il n'y eut qu'environ quatre vingt dix mille personnes ou brûlées, ou pendues, ou noiées, ou égorgées pour l'amour de Dieu, nous pourons nous flatter de ne nous être pas beaucoup écartés du vrai. D'ailleurs je ne suis qu'un simple historien, et il ne m'apartient pas de condamner une action qui aiant la gloire de Dieu pour objet avait des motifs si purs et si respectables.
Il est bon pourtant, mon cher ami, que de si grands éxemples de charité n'arrivent pas souvent. Il est beau de venger la religion. Mais pour peu qu'on lui fit de tels sacrifices deux ou trois fois chaque siècle, il ne resterait enfin sur la terre personne pour servir la messe.
Vôtre correspondant vous envoie à l'adresse ordinaire, un petit paquet qu'il a reçu pour vous. Je finis tout doucement ma carrière; mes maux et ma faiblesse augmentent, il faut que ma patience augmente aussi, et que tout finisse.
V.