[c. 25 July 1777]
Monsieur le grand rêveur, personne n'a jamais fait un plus beau songe que vous.
Si Nabucodonosor avait rêvé ainsi, il n'aurait jamais oublié un pareil songe, et n'aurait point proposé à ses mages de les faire pendre s'ils ne devinaient pas ce qu'il avait oublié. L'Empereur Julien tout grand philosophe, tout homme d'esprit, et tout apostat qu'il était, n'eut pas le bonheur de raisonner aussi bien étant éveillé que vous étant endormi. On reproche à ce grand homme d'avoir fait enchérir les bœufs et les vaches par ses fréquents sacrifices dans le temps qu'il se moquait du saint sacrifice de la messe, et des autres facéties des christicoles. Pour vous, Monsieur, vous vous moquez de toute la terre, et vous avez grande raison. Il y a même quelque aparence que vous la corrigerez de ses ridicules avant qu'il soit trois ou quatre cent mille ans, et en vérité vous méritez de vivre jusqu'à cette heureuse révolution. Je ne désespère pas que vous ne montriez ce nouveau prodige au monde. En éffet s'il y a quelque secrêt pour l'opérer, c'est le beau précepte que vous raportez à la fin de vôtre rêve, Réjouïs toi, car tu n'es pas sûr d'en faire autant demain.
Si vos productions de la nuit m'ont fait un si grand plaisir celles du jour ne m'en font pas moins. Vos petits vers sont délicieux; mais vous n'avez pas prophétisé aussi juste sur moi que sur le reste de l'univers. Je n'ai point vu Monsieur le comte, et vous verrez pourquoi dans la Lettre que j'eus l'honneur de vous écrire avant celle cy, et que je mets à la suitte. Je vous y demande une grâce singulière, mais qui me parait nécessaire, et dont il peut résulter un très grand bien.
Je me jette à vos pieds.