1768-06-02, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean François de La Harpe.

Mon chere confrère en Apollon, notre ami Lacombe m'a écrit touchant le projet dont vous me parlez; j'ignore ce projet avec tout le monde, je ne le sais qu'avec vous, et j'y suis bien sensible; mais je dois vous dire en conscience que vous feriez bien mieux d'exercer vos rares talens et de ranimer le théâtre expirant, que de perdre votre temps à sauver mes faibles ouvrages du fleuve d'oubli où ils seront bientôt plongés avec ceux de cet énergumène Crebillon qui n'a rien fait de bon que quelques rimes de Rhadamiste, encor sont-elles farcies de solécismes.

On dit que l'apostat la Blétrie, qui avait fait un livre passable sur le brave apostat Julien, vient de traduire Tacite en ridicule. Si quelqu'un était capable de donner à notre langue faible et trainante la précision et l'énergie de Tacite, c'était M. D'Alembert. Les Jansénistes ont la phrase trop longue. Fasse le ciel qu'ils n'aient jamais les bras longs! Ces loups seraient cent fois plus méchans que les renards Jésuites. Je les ai vus autrefois se plaindre de la persécution, ils voudraient aujourd'hui persécuter. Ils méritent plus d'indignation qu'ils s'attiraient de pitié, et cette pitié qu'on avaient de leurs personnes, leurs ouvrages l'inspirent. C'est un effet que ne feront jamais les vôtres. Tâchez de réhabiliter un peu le siècle si vous pouvez.