3e juillet 1768 , à Ferney Par Lyon et Versoi
Je ne vous ai pas encor remercié, mon cher Cicéron, ce n'est pas que mon cœur ne soit pénétré de vos bontés, mais c'est que j'ai été bien malade.
Vous avez donc deviné A et B. Personne assurément ne sait mieux son alphabet que vous. Il est très clair que B sera déshonoré dans sa compagnie, dans sa province et auprès du conseil du Roi. Il y aurait assurément un factum très plaisant à faire contre Mr le Président. On pourait le couvrir à la fois d'oprobre et de ridicule, mais je tenterai auparavant toutes les voies de la conciliation. Je ne suis à craindre que quand je suis poussé à bout. J'ai actuellement des choses un peu plus pressées.
Quoi! vous trouvez que c'est un mal d'éxister quand vous éxistez avec madame de Beaumont? Il faut donc que vous aiez eu quelque nouvau chagrin que vous ne me dites pas; mais une telle union doit changer tous les chagrins en plaisirs, et que ferai-je donc moi qui ai la calomnie à combattre depuis environ cinquante ans, et qui suis persécuté par la nature autant que par la méchanceté des fanatiques?
Je vois que vous voulez choisir un sujet qui puisse flatter un Roi du nord. La bienfesance est une belle chose, mais il y a des païs où l'on ne connait guères les bienfaits, et où l'on ne fait que des marchés.
Je voudrais bien savoir quel est notre concitoien qui a remporté le prix à Petersbourg; le sujet était cette question, S'il est avantageux à un état que les serfs deviennent libres, et que les cultivateurs travaillent pour eux mêmes. C'était là un sujet digne de vous, mais quelque problème que vous vous amusiez à résoudre vous rendrez toujours service aux hommes quand vous écrirez.
Je ne crois pas que Sirven puisse tenter par autrui la réhabilitation de sa femme qu'il n'ose pas entreprendre lui même; il n'a point, du moins jusqu'à présent, trouvé de parent qui veuille s'exposer à se faire dire par le parlement de Toulouse, De quoi vous avisez vous de prendre parti dans une affaire où les condamnés tremblent de paraître? Je crois qu'il restera dans mon voisinage, c'est dumoins une victime arrachée à la gueule du fanatisme.
Adieu, mon très cher Cicéron; ma lettre est courte, mais je suis encor bien languissant. Un corps faible de 75 ans n'est pas fort alerte. Adieu couple aimable, que j'ai eu le malheur de ne point voir, et auquel je suis attaché autant que ceux qui jouissent de ce bonheur.