1768-04-20, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Chrysostome de Larcher, comte de La Touraille.

Je vois, Monsieur, que les parisiens jouïssent d'une heureuse oisiveté, puisqu'ils daignent même s'amuser de ce qui se passe sur les frontières de la Suisse au pied des Alpes et du mont Jura.
Je ne conçois pas comment la chose la plus simple, la plus ordinaire, et que je fais tous les ans a pu causer la moindre surprise. Je suis persuadé que vous en faittes autant dans vos terres quand vous y êtes. Il n'y a personne qui ne doive cet éxemple à sa paroisse, et si quelquefois dans Paris le grand mouvement des affaires, ou d'autres considérations obligent de différer ces cérémonies prescrites, nous n'avons point à la campagne de pareilles excuses. Je ne suis qu'un agriculteur et je n'ai nul prétexte de m'écarter des règles auxquelles ils sont tous assujettis. L'innocence de leur vie champêtre serait justement éffraiée si je n'agissais pas, et si je ne pensais pas comme eux. Nos déserts qui devraient nous dérober au public de Paris ne nous ont jamais dérobé à nos devoirs. Nous avons fait à Dieu dans nos hamaux les mêmes prières pour la santé de la Reine que dans la capitale, avec moins d'éclat sans doute, mais non pas avec moins de zèle. Dieu a écouté nos prières comme les vôtres, et nous avons apris avec autant de joie que vous, le retour d'une santé si prétieuse.

Je vous suplie, Monsieur, de vouloir bien me mettre aux pieds de Monseigneur le Prince de Condé, et de me conserver les bontés dont vous honorez vôtre très humble et très obéissant serviteur

V….