Eh bien il faut donc contenter la curiosité de vôtre amitié, et celle de Mr et de Made D'Argental.
Voicy mes raisons. J'ai 74 ans; je me couche à dix heures et je me lêve à cinq; je suis las d'être l'aubergiste de l'Europe. Je veux mourir dans la retraitte. Cette retraitte profonde ne convient ni à made Denis, ni à la petite Corneille. Made Denis l'a suportée tant qu'elle a été soutenue par des amusements et par des fêtes. Je ne puis plus suffire à la dépense d'un prince de l'Empire et d'un fermier général. J'envoie madame Denis se faire paier des seigneurs français, et je me charge des seigneurs allemands. Je suis actuellement fort à l'étroit, et je lui donne vingt mille francs de pension en attendant qu'elle en ait trente-six mille outre la terre de Ferney. Voilà mon cher ami à quoi tout se réduit. J'en suis fâché pour la calomnie qui ne trouvera pas là son compte. J'en suis fâché pour Fréron et pour made Gilet, mais je ne puis qu'y faire. Je sais dans ma retraitte tout ce que les gazettes ont publié de mensonges; c'est le revenu de ceux qui ont le malheur d'être connus.
Dites aux anges, et soiez très sûr, mon cher ami, que je brûle toutes les lettres dont on pourait abuser à ma mort. Ne soiez pas moins sûr que jusqu'à ce moment mon cœur sera à vous et aux anges.
2e avril 1768