6e janvier 1768, à Ferney
Mr Hennin, Résident à Genêve, me mande, Monsieur, qu'il a eu l'honneur de vous écrire au sujet de Gallien.
Vous avez vu par mes Lettres que je n'espérais pas que ce jeune homme se maintint longtemps dans ce poste. Il s'est avisé de faire imprimer une mauvaise pasquinade dans le stile d'un laquais sur les affaires de Genêve, et il a eu la méchanceté inepte de me l'attribuer, en l'imprimant sous le nom d'un vieillard moribond, et en ajoutant à ce titre des qualifications peu agréables.
Mr Hennin m'a envoié l'ouvrage, et m'a instruit en même temps qu'il était obligé de le renvoier, et qu'il vous en écrivait.
Mon respect pour la protection dont vous l'honoriez m'avait fait toujours dévorer dans le silence les perfidies qu'il m'avait faittes. Il allait acheter à Genêve tous les libelles qu'il pouvait déterrer contre moi, et les vendait à ceux qui venaient dans le château. Je lui remontrai l'énormité et l'ingratitude de ce procédé. Je voulus bien ne l'imputer qu'à sa curiosité et à sa légèreté. Je ne voulus point vous en instruire. J'espérai toujours que le temps et l'envie de vous plaire pouraient corriger son caractère. Je vois par une triste expérience que mes ménagements ont été trop grands, et mes espérances trop vaines.
Je pense qu'il serait convenable qu'il allât en Dauphiné pour y faire imprimer l'histoire de cette province qu'il a entreprise. Il est du village de Salmorans dont il a pris le nom; et il avait toujours témoigné le désir d'y aller voir ses parents.
Peut être l'article de ses dettes sera-t-il un peu embarassant avant qu'il parte de Genêve. On prétend qu'elles vont à plus de cent Louïs d'or. C'est ce que j'ignore. Mais je sais qu'il répond aux marchands que c'est à vous à paier la pluspart des fournitures. J'ai déjà paié deux cent Livres, dont je vous avais envoié les quittances, et que vous avez eu la bonté de me rembourser.
Je vous ai mandé que je ne paierais rien de plus sans vôtre ordre précis, et j'ai tenu parole, à un Louïs d'or près. Peut être voudriez vous bien accorder encor une petite somme, afin qu'un jeune homme que vous avez daigné faire élever avec tant de générosité ne partit pas de Genêve, absolument en banqueroutier.
Tous les esprits sont violement irrités contre lui à Genève. Cette affaire est très désagréable, mais après tout l'âge peut le meurir. Tout ce que vous avez daigné faire pour lui peut parler à son cœur, et quelque chose qui arrive, vous aurez toujours la satisfaction d'avoir éxercé les sentiments de vôtre caractère noble et bienfesant.
Le Thermomètre est icy à treize degrés et un quart audessous de la glace. L'encre gèle, mais quoi que Gallien m'intitule vieillard moribond, je sens que mon cœur a encor quelque chaleur. Elle est tout entière pour vous, elle anime le profond respect avec lequel je vous serai attaché jusqu'au dernier moment de ma vie.
V.