1767-12-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Joseph Marie Balleydier.

Le sieur Raffo, notaire, a copié chez vous exactement les prétendus pouvoirs que vous vous êtes imaginé avoir été donnés par moi pour dépouiller Monpitan de sa carrière, et pour le faire punir comme usurpateur.
Ces prétendus pouvoirs sont des lettres dont la plupart mêmes ne sont pas signées, et ne sont pas écrites de ma main. Elles disent que ni Grenier ni Monpitan qui exploite la carrière ne doivent point passer par les chemins défendus. Or le petit chemin de Genève était défendu alors par ordre du roi. Ces lettres écrites à m. Crammer énoncent donc positivement que Monpitan a droit d'exploiter sa carrière. M. Crammer se plaint qu'après avoir tiré la pierre Monpitan gâte le chemin. Je donne donc à m. Crammer tout pouvoir d'empêcher Monpitan d'endommager ce chemin. Je ne lui ai jamais donné pouvoir d'agir en mon nom. Il n'y a pas un mot dans mes lettres qui fasse seulement soupçonner que Monpitan ne doit pas tirer sa pierre.

Vous vous plaignez pendant que vous me rendez seul à plaindre, pendant que vous me rendez la fable de mes vassaux et que vous me couvrez de confusion…. Je ne puis lui ôter son bien; cela est absurde et inique. Cependant, sans me consulter, sans m'écrire, vous le faites assigner comme usurpateur, comme voleur (car c'est la même chose); vous le faites condamner à mon insu par le juge de ma terre qui est en Franche Comté. Je n'apprends ce procès que par le cri public et par l'assignation qu'on me donne. Tous les habitants sont soulevés; tous disent que j'ai plaidé contre ma signature et que j'ai fait condamner injustement un de mes vassaux. Voilà le précipice où vous m'avez jeté, pour avoir agi en mon nom sans aucun ordre de moi. Il est inouï qu'on ait jamais fait un procès au nom d'un autre sans ordre exprès. Le parlement de Dijon punirait sévèrement cette prévarication. Vous ne devez pas perdre un moment pour engager m. Crammer à terminer cette affaire si désagréable pour lui et pour moi. Il faut que vous engagiez le sr Dulcis à suspendre jusqu'à ce que tout soit apaisé. Il est clair que vous avez poursuivi sans un ordre; il est clair que vous avez exposé précisément le contraire de ce qui est dans mes lettres à m. Crammer, puisque j'y dis expressément que Monpitan exploite la carrière. Il est clair que vous avez fait condamner Monpitan comme usurpateur sans m'en dire un seul mot. Vous êtes en faute envers moi et envers la justice. Pressez l'accommodement entre m. Crammer et Monpitan, et arrêtez la poursuite du sieur Dulcis.