1767-11-14, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Je répondrai au premier jour, mon cher maitre, à la lettre que Chabanon m'a apportée de votre part; il s'agit en ce moment de vous en demander une autre qui intéresse un de nos amis communs.
D'Amilaville est premier commis du vingtième depuis 20 ans; la place de directeur du vingtième de la Généralité de Paris, dont le titulaire est en apoplexie & paralysie depuis plus d'un an, lui a été promise et même donnée par plusieurs lettres expresses de mr le Controlleur général qu'il a entre les mains. Mr de Courteille qui lui avoit procuré cette grâce (ou plutôt cette justice) vient de mourir. Apeine mr d'Ormesson a t'il été nommé pour succéder à mr de Courteille, qu'un certain animal, aussi imbécille qu'ignorant, un certain Sauvigni, intendant de Paris, a été le dénoncer à mr d'Ormesson comme un athée, un Philosophe, un Encyclopédiste, et déclarer qu'il ne vouloit pas travailler avec lui; ensorte que notre ami après vingt ans de travail, a lieu de craindre que par la foiblesse des gens en place dont il dépend, il ne se trouve privé d'un poste qui lui étoit assuré de la manière la plus authentique. Il faut absolument, mon cher maître, employer tout votre crédit pour le servir, & pour parer les coups que de plats coquins veulent lui porter. Il faut que vous écriviez à mr le duc de Choiseul, et que vous obteniez de lui qu'il parle au controlleur général, & qu'il en impose à l'intendant de Paris, qui n'osera lutter contre un homme protégé par lui. Je vous écris tout ceci à la hâte, & si fort à la hâte que je l'écris même à l'envers, mais notre ami suppléera à ce qui manque à ma lettre, & je vous demande avec la plus grande instance de ne rien négliger pour rendre inutiles les coups de l'imbécillité et de la sottise. Adieu, mon cher maitre, je vous embrasse de tout mon cœur.