1767-12-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami je reçois votre lettre du 8 du mois avec votre mémoire.
Il n'y a je crois rien à répliquer; mais la puissance ne cède pas à la raison; sic volo, sic jubeo est d'ordinaire la raison des gens en place. Il faut absolument entourer m. et mde de Sauvigni de tous les côtés et les empêcher surtout de donner contre vous des impressions qu'il ne serait peut-être plus possible de détruire, quand la place qui vous est si bien due viendrait à vaquer.

J'ai écrit encore à made de Sauvigni et je lui ai fait parler. Je me flatte qu'ils ne verront pas votre mémoire; il les mettrait trop dans leur tort, et des reproches si justes ne serviraient qu'à les aigrir.

Je suis très fâché que vous ayez donné le mémoire à m. Foulon. S'il parvient à m. de Sauvigni il sera fâché qu'on dévoile qu'il a déjà demandé la place en question pour d'autres, et surtout pour un receveur général des finances, à qui elle ne convient point. Cette démarche que vous rappelez a plutôt l'air d'un marché que d'une protection. L'affaire est délicate et demande à être traitée avec tous les ménagements possibles. Heureusement vous avez du temps. Ne pourriez vous point trouver quelque ami auprès de m. Cochin qui est un homme juste, et qui ferait sentir à m. le contrôleur général le prix de vos longs et utiles services?

Je n'aurai probablement aucune réponse de longtemps de m. le duc de Choiseul. On m'a même fait des tracasseries auprès de lui pour les sottes affaires de Geneve; mais c'est ce qui m'inquiète fort peu.

Ne manquez pas, mon cher ami, de m'écrire dès que le titulaire sera près d'aller rendre ses comptes à dieu. J'écrirai alors sur le champ à m. le duc de Choiseul. Malgré tout ce que le sieur Cromelin a fait pour lui persuader que je prenais le parti des représentants, je représenterai très hardiment pour vous, car vous sentez bien que la place n'étant pas encore vacante, je n'ai pu écrire que de façon à préparer les voies; et encore m'a-t-il été fort difficile de faire venir la chose à propos dans une lettre où il était question d'autres affaires, écrite à un ministre chargé du poids de la guerre, de la paix et du détail des provinces. Mais quand il s'agira réellement de donner la place qui vous est due, alors il se souviendra que je lui en ai déjà écrit. Je crois même qu'il serait bon que vous préparassiez à l'avance un mémoire fort court pour m. le contrôleur général. J'enverrais le mémoire à m. le duc de Choiseul, et il serait homme à le lui donner lui même.

Je ne sais plus rien de l'affaire des Sirven. Je n'ai point vu l'écrit de la Sorbonne. Le maréchal de Luxembourg arrivera bien tard.

Adieu, je vous embrasse, mon très cher ami. Je suis toujours dans mon lit, accablé de maux et d'affaires.