[20 August 1767]
J'ai vu avec bien de l'éloignement par une lettre traduite du polonais, que l'on m'a envoyée, que vous m'avez fait l'honneur de m'y nommer pour me maudire moi, Candide et l'optimisme.
Il n'y a pas jusqu'au pauvre Panglos qui après avoir été percé de coups, fouetté à l'inquisition se trouve encore après tous ses malheurs en but à votre mauvaise humeur. Je vois mr par vos reproches que vous me soupçonnez de défendre l'optimisme. Je vous avoue que jusqu'à ce moment ci je ne m'étois pas douté que ce fût là mon dessein, mais vous verrez que je me suis mal entendu. Je vais donc suivre vos idées, et par quelques informations que l'honneur d'être nommé par vous dans une lettre que vous avez rendu publique m'a fait prendre sur votre compte, vous prouvez mr que tout est bien, dans le meilleur des mondes possibles.
Si à la dernière diète vous n'aviez point assuré que ce qui devait surtout être glorieux à votre parti, était d'avoir trompée la Rusie, la Russie ignorerait peut-être encore, que vous, la cour, et ses adhérents la trompiez. Si vous n'aviez pas comparé à Erostrate, mr de Mniszech, à qui après la cabale vous devez tout ce que vous êtes, on aurait ignoré, que vous êtes capable de l'ingratitude la plus marquée.
Si vous n'aviez pas tant trouvé la confédération indigne de la cour de Rome et de la st église on n'aurait peut-être pas remarqué que ces apparences de zèle vont mal avec la manque de religion et des moeurs relâchés. Enfin mr si vous ne m'aviez pas maudit à deux cent lieux de Paris, je n'aurais pas eu l'honneur de vous écrire; vous voyez donc mr que tout est bien dans les meilleurs des mondes possibles; puisse la conviction d'une vérité aussi évidente, vous coûter moins cher qu'au pauvre Candide; j'ai l'honneur d'être etc.