1767-07-30, de Laurent Angliviel de La Beaumelle à Louis Phélypeaux, duc de La Vrillière.

Monseigneur, m. le marquis de Gudane m'a fait part de vos intentions touchant certaines lettres anonymes que le sieur de Voltaire prétend que je lui ai écrites.
Je vous jure, monseigneur, que de mes jours je ne lui en ai écrit ni songé à lui en écrire une seule…. On ne va point dire des injures à l'oreille d'un tel calomniateur; ce n'est pas même avec de l'encre qu'on lui répond. Si j'étais d'humeur à me venger de tant d'outrages, loin de prendre le masque de l'anonyme, je serais bien fâché qu'il pût attribuer à d'autres qu'à moi les coups que je lui porterais.

Cependant, vous paraissez persuadé, monseigneur, que je suis l'auteur de ces lettres anonymes, et qu'elles portent leur preuve en elles mêmes. C'est chose où je me perds, et je ne conçois pas que la fraude ou le hasard aient pu composer ces pièces de manière à en faire tomber tous les soupçons sur moi exclusivement. Je vous conjure à mains jointes, monseigneur, de m'en envoyer une copie. Il m'est important de vous détromper. Car si le sieur de Voltaire lui même n'en est pas l'auteur, comme le début de la dernière ( j'ose risquer une quatre-vingt-quinzième lettre) semble le persuader … la source de ces lettres n'est pas encore prête à tarir, puisque, d'un côté, l'offensé montrant une extrême sensibilité là-dessus, et de l'autre l'offenseur apprenant par les deux derniers libelles de Voltaire contre moi qu'il me les attribue, il est plus que vraisemblable que cet anonyme, sûr de n'être pas découvert, continuera de harceler son ennemi….

Il vous prie de m'ordonner de le laisser en repos. Je vous proteste avec vérité que je ne songeais guère à lui, avant ses dernières diffamations, et je vous supplie à mon tour de lui imposer la même loi à mon égard…. Avec quelle pudeur ose-t-il implorer l'autorité contre moi, pour des injures que je ne lui ai point faites, tandis qu'il se fait lui même justice de ces prétendues injures par des libelles imprimés?

Du reste, permettez moi de me plaindre à vous, monseigneur, de la manière dont vos intentions m'ont été signifiées. Une escouade de la maréchaussée vient faire une irruption dans la maison d'un particulier paisible. Je suis assuré que vous n'avez aucune part à cet éclat, et que m. le marquis de Gudane a plutôt suivi quelque ressentiment personnel que vos intentions.