1767-03-24, de Frederick II, king of Prussia à Voltaire [François Marie Arouet].

Je vous plains de ce que votre retraite est entourée d'armes, il n'est donc aucun séjour à l'abri du tumulte, car qui croiroit qu'une République dût être bloquée par des voisins qui n'ont aucun empire sur elle?
Mais je me flate que cet orage passera et que les genevois ne se roidiront pas contre la violence, ou que le ministère français modérera sa fougue;a vous voulés savoir le mot du Conte? il ne regarde que moi. Ce conte a été fait l'an 61, et convenoit assés à ma situation telle qu'elle étoit alors, j'ai Corrigé cet ouvrage depuis la paix et je vous l'ai envoyé. Je suis si enuié de la politique que je la mets de côté dans mes moments de loisir et d'étude. Je laisse cet art conjectural à ceux dont l'imagination aime à s'élancer dans l'imense abime des probabilités.a Ce que je sais de l'impératrice de Russie c'est qu'elle a été sollicitée par les déssidents de leur prêter son assistance et qu'elle a fait marcher des argumens munis de Canons et de bajonettes, pour convaincre les Evêques polonais des droits que ces déssidens prétendent avoir. Il n'est point réservé aux armes de détruire l'infâme, elle périra par le bras de la vérité et par la séduction de l'intérest. Si vous voulés que je dévelope cette idée, voici ce que j'entens. J'ai remarqué et d'autres come moi, que les endroits où il y a le plus de couvents de moines sont ceux où le peuple est le plus aveuglément livré à la superstition. Il n'est pas douteux que si l'on parvient à détruire ces asiles du fanatisme, que le peuple ne deviene un peu indiférent et tiède sur ces objets qui font actuellement ceux de sa vénération. Il s'agiroit donc de détruire le cloître, au moins de comencer à diminuer leur nombre. Ce moment est venu, parceque le gouvernement français et celui d'Autriche sont endetés, qu'ils ont épuisé les ressources de l'industrie pour acquiter les deptes sans y parvenir. L'apas de riches abaÿes et de Couvents bien rentés est tentant. En leur représentant le mal que les cénobites font à la population de leurs état ainsi que l'abus du grand nombre de cuculati qui remplissent leurs provinces, en même tems la facilité de payer en partie leurs deptes en y apliquant les thrésors de ces Comunautés qui n'ont point de successeurs, je crois qu'on les détermineroit à comencer cette réforme, et il est à présumer qu'après avoir joui de la sécularisation de quelques bénéfices, leur avidité engloutira successivement le reste. Tout gouvernement qui se déterminera à cette opération sera ami des philosophes, et partisan de tous les livres qui attaqueront les superstitions populaires et le faux zèle des hypocrites qui voudroient s'y oposer. Voilà un petit projet que je soumets à l'examen du patriarche de Fernex. C'est à luï come au père des fidèles de le rectifier et de l'exécuter. Le patriarche m'objectera peutêtre, ce que l'on fera des Evêques, je lui réponds qu'il n'est pas tems d'y toucher encore, qu'il faut comencer par détruire ceux qui souflent l'embrasement du fanatisme au coeur du peuple. Dès que le peuple sera refroidi, les Evêques deviendront de petits garçons dont les souverains disposeront par la suite des tems come ils voudront: La Puissance des Eclésiastiques n'est que d'opinion, elle se fonde sur la crédulité des peuples, eclairés ces derniers et l'enchantement cesse. Après bien des peines, j'ai déterré le malheureux compagnon de la Barre, il se trouve porte enseigne à Wesel et j'ai écris pour lui. On me marque de Paris qu'on prépare au théâtre français, avec apareil la représentation des Scytes; vous ne vous contentés pas d'éclairer votre patrie, vous lui donés encore du plaisir. Puissiés vous lui en donner longtems et jouir dans votre doux azile des délices que vous avés procurées à vos Contemporains, et qui s'étendront à la race future autant qu'il y aura des homes qui aimeront les lettres et d'âmes sensibles qui conoîtront la douceur de pleurer. Vale.

Federic