A Ferney, 10 février 1767
Monsieur,
Certainement j'irai rendre à votre excellence les visites dont elle m'a honoré, quand elle voulait mettre la paix chez des gens qui ne méritent pas d'avoir la paix.
M. le duc de Choiseul m'a donné à la vérité toutes les facilités possibles; mais quelques bontés qu'il ait, la gêne et le fardeau retombent toujours sur nous. Quel pays que celui-ci! Je n'ai pu trouver dans Paris une lettre de change sur Genève; il faut faire venir l'argent par la poste. Les coches de Lyon et de Suisse n'arrivent plus, et je peux vous assurer qu'on trompe beaucoup m. le duc de Choiseul, si on lui écrit que les Génevois souffrent; il n'y a réellement que nous qui souffrons. On croit se venger d'eux, et on nous accable. Si on voulait effectivement rendre la vengeance utile, il faudrait établir un port au pays de Gex; ouvrir une grande route avec la Franche-Comté; commercer directement de Lyon avec la Suisse par Versoy; attirer à soi tout le commerce de Genève; entretenir seulement un corps de garde perpétuel dans trois villages entre Genève et le pays de Gex; cela coûterait beaucoup, mais Genève, qui fait pour deux millions de contrebande par an, serait anéantie dans peu d'années. Si on se borne à saisir quelques pintes de lait à nos paysannes, et à les empêcher d'acheter des souliers à Genève, on n'aura pas fait une campagne bien glorieuse.
Pardonnez moi la liberté que je prends en faveur de la confiance que vous m'avez inspirée, et de l'intérêt très réel que j'ai à tous ces mouvements.
La petite affaire de la sœur du brave Thurot est finie de la manière dont je l'aurais finie moi même si j'avais été juge. Je n'en ai point importuné m. le duc de Choiseul; j'ai la principale obligation de tout à monsieur le vice-chancelier.
Je vous conseille de jeter les Scythes dans le feu, car je les ai bien changés; et je vais m'amuser à en faire une meilleure édition.
Permettez que m. le chevalier de Taulès trouve ici les assurances des sentiments que j'aurai pour lui toute ma vie.
J'ai l'honneur d'être, avec bien du respect et la plus tendre reconnaissance de toutes vos bontés, monsieur, de votre excellence le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire