1767-01-08, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Mon cher ami, en attendant que je lise une lettre de vous que j'attends aujourd'hui il faut que je vous communique une réponse que j'ai été obligé de faire à m. de Pezay au sujet des vers de m. Dorat, que vous devez avoir vus, et qui ne sont pas mal faits.
Vous verrez si j'ai tort de regarder Jean Jaques Rousseau comme un monstre et de dire qu'il est un monstre. Le grand mal dans la littérature c'est qu'on ne veut pas distinguer l'offenseur de l'offensé. M. Dorat a ses raisons pour suivre ce torrent, puisqu'il s'y laisse entraîner, et qu'il m'a offensé de gaieté de cœur, sans me connaître. J'arrête ma plume en attendant votre lettre, et je vous prie de communiquer à m. d'Alembert celle que j'ai écrite à m. de Pezay avant que m. Dorat m'eût demandé pardon.

Nous avons reçu votre lettre du 3 janvier. Nos alarmes et nos peines ont été un peu adoucies, mais ne sont pas terminées.

Il n'y a plus actuellement de communication de Geneve avec la France. Les troupes sont répandues par toute la frontière, et par une fatalité singulière c'est nous qui sommes punis des sottises des gennevois. Geneve est le seul endroit où l'on pouvait avoir de la viande de boucherie et toutes les choses nécessaires à la vie. Nous sommes bloqués et nous mourons de faim. C'est assurément le moindre de mes chagrins. Je n'ai pas un moment pour vous en dire davantage. Tout notre triste couvent vous embrasse.

Voudriez vous bien, mon cher ami, envoyer à m. Delaleu dans une envelope mon certificat de vie puisque je vis encore.