[c. 20 September 1766]
… Sans être en droit de penser absolument comme vous sur m. de Voltaire, je vous avoue, par exemple, que son éloge m'embarrassera beaucoup, si jamais j'en suis chargé.
Un médecin n'est pas soupçonné d'être bien crédule et bien dévot, et j'aurais tort de vouloir faire à ce sujet mon apologie; mais un bon citoyen, quelle que soit sa façon de penser, doit sentir tous les torts qu'a m. de Voltaire en mettant au jour tant de livres ou brochures qu'il prétend philosophiques.
Facit indignatio versum. Qu'Horace ici me serve d'excuse: car c'est pour le même motif que je me hasarde à insérer des vers de mon cru dans une lettre à l'homme du monde qui les fait le mieux. Mais aussi pourquoi m. de Voltaire ose-t-il saper les fondements de la société? Ignore-t-il ce que Boileau dit si fortement:
'. . . L'homme en ses désirs toujours errant, sans guide, etc. . .' et quand il cherche, en détruisant le dogme de l'immortalité de l'âme, à renverser l'espèce de digue que tous les législateurs ont eu soin d'opposer au torrent des crimes prêts à inonder l'univers, ne ressemble-t-il pas au moins à Erostrate? Quant à moi, je ne puis réfléchir de sang-froid à l'abus qu'il fait de ses talents. Comment donc pourrai je jamais en faire l'éloge si les circonstances me forcent à l'entreprendre, quels que soient, dans le fond, ses talents poétiques? Il a su plaire, il a même séduit, il écrit agréablement en prose; il possède cet art si commun aujourd'hui de se mettre tout en surface; le public le croit un grand homme, et tout ce que je dirai dans ce genre à sa louange sera bien reçu. Je pourrai dont être assuré de plaire en peignant m. de Voltaire comme poète, comme littérateur; mais dans quel point de vue pourrai-je le mettre pour lui épargner le blâme dont le couvriront ses ouvrages philosophiques? Je vous le répète, monsieur, je ne saurai de quel biais m'y prendre si jamais je dois le célébrer après sa mort.
Mais voilà bien assez parler de lui et vous ennuyer par mon verbiage. Il est temps que je finisse et que je vous prie de m'honorer toujours de votre bienveillance. Je suis avec respect, monsieur, etc.
Maret