1766-08-30, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louise Florence Pétronille La Live, marquise d'Épinay.

Que toutes les bénédictions se répandent sur ma belle philosophe et sur son prophête! que leurs cœurs sensibles et honnêtes gémissent avec moi des horreurs de ce monde sans en être troublés! qu'ils voient d'un œil de pitié la frivolité et la barbarie! qu'ils jouïssent d'une vie heureuse en plaignant le genre humain! Le prophête me l'avait bien dit, que les étoiles du nord deviennent tous les jours plus brillantes.
Tous les secours pour les Sirven sont venus du nord. On pourait tirer une ligne droite de Darmstadt à Pétersbourg, et trouver partout des sages.

J'ai vu dans mon hermitage deux princes qui savent penser, et qui m'ont dit que prèsque par tout on pensait comme eux. J'ai béni l'Eternel, et j'ai dit à la raison, quand gouverneras tu le midy et l'occident? Elle m'a répondu qu'elle demeurait six mois de l'année à la Chevrette avec l'imagination et les grâces, et qu'elle s'en trouvait très bien; mais qu'il y avait certains quartiers où elle ne pénétrait jamais; et que quand elle a voulu en approcher, elle n'y a trouvé que ses plus cruels ennemis. Elle dit que la pluspart de ses partisans sont tièdes, et que ses ennemis sont ardents.

Je me recommande aux prières de ma belle philosophe et de mon cher prophête.

V.