1759-06-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame

J'ay également à me plaindre de la guerre et de la nature.
L'une et l'autre conspirent à me priver du bonheur de faire ma cour à votre Altesse sérénissime. La vieillesse, les maladies et Les houzards sont de cruels ennemis. J'ay bien peur madame que ces houzards ne demandent un peu de fourage à vos états, et qu'ils payent fort mal leur diner et celui de leurs chevaux. Dumoins madame votre beau duché reste d'un duché encor plus beau, n'aura rien à reprocher à la cavalerie française. Je crois que depuis Rosbac elle a perdu l'idée de venir prendre respectueusement du foin dans vos quartiers.

Il me parait que Le Roy de Prusse qui attaquait à droite et à gauche autrefois, comme le bélier de la vision de Daniel, est totalement sur la deffensive. Pour nous, nous sommes sur l'expectative, et Paris est sur l'indiférence la plus guaie. Jamais on ne s'est tant réjoui, jamais on n'a inventé tant de plaisanteries, tant de nouvaux amusements. Je ne sçais rien de si sage que ce peuple de Paris accusé d'être frivole. Quand il a vu les malheurs accumulez sur terre et sur mer, il s'est mis à se réjouir et a fort bien fait, voylà la vrai philosofie. Je suis un vieillard très indulgent, il faut en plaignant les malheureux applaudir à ceux qui éguaient leurs malheurs.

Je renouvelle mes remerciments très humbles à votre A. S. Sa protection au sujet des paperasses touchant le czar fait ma consolation. Je me mets à ses pieds avec le plus profond respect

le suisse V.