20e auguste 1766
Mon cher Esculape, je suis honteux et affligé de ne vous consulter que sur des bruits populaires.
La prétendue lettre à M. le duc de la Valiere est un mensonge auquel il ne manque que d'être imprimé. Il y a plus d'un an que je ne luy ay écrit. Le prétendu voiage à Vezel n'a pas plus de réalité, et celuy qui a parlé à mr votre fils a bâti son sistème sur un bien mauvais fondement, puisque la lettre qu'il m'écrit commence ainsi. Je soupçonne que vous voulez aussi venir à Vezel. Or c'était très mal soupçonner. Je ne suis pas en état de faire ce voiage. J'ay bientôt soixante et treize ans, ma faiblesse augmente tous les jours, et je n'ay d'autre parti à prendre que d'attendre la mort en paix.
Je vous jure que les petites inquiétudes de quelques personnes de Geneve sur le parti que je pouvais prendre dans vos dissentions sont encor plus mal fondées. Il faut n'avoir pas le sens comun pour imaginer que je sois le partisan de deux ou trois ennuieux énergumènes. Mais tout esprit de parti est toujours soupçonneux et injuste. J'ai reçu avec empressement vos amis. J'ay reçu les autres avec décence. Les médiateurs et tous ceux qui me font l'honneur de venir chez moy, savent que je ne me mêle de rien et je ne leur ai jamais parlé de vos différents.
A l'égard de Jean Jaques, c'est un fou ennemi du genre humain, mais les Diogènes ne doivent point faire de tort aux Platons et aux Aristotes.
Ce prélat qui s'est vanté à vous d' avoir si beau jeu, ne sait pas qu'il a très mauvais jeu d'un bout de l'Europe à l'autre, chez tous les honnêtes gens. Comptez que l'amour propre est secrêtement affligé de n'avoir pour soi que la canaille.
Je ne vous dirai rien de l'abomination du xème siècle, ce que j'ay lu de cette histoire fait dresser les cheveux, et rend la langue paralitique.
Je suis persuadé mon cher Esculape que si vous saviez quelque chose qui intéressât votre ami qui vous sera attaché jusqu'au dernier moment de sa vie, vous l'en avertiriez.
Toutte la petite famille vous fait mille compliments.
V.