19 aoust [1766] comme disent les Welches,
car ailleurs on dit auguste
Je demande pardon à mon héros de ne lui point écrire de ma main, et je lui demande encor pardon de ne lui pas écrire guaiement; mais je suis malade et triste.
Sa missionaire a l'air d'un oiseau, elle s'en retourne à tire d'aile à Paris. Vous avez bien raison de dire qu'elle a une imagination brillante et faitte pour vous. Elle dit que vous n'avez que trente à quarante ans tout au plus. Elle me confirme dans l'idée où j'ai toujours été que vous n'êtes pas un homme comme un autre. Je vous admire sans pouvoir vous suivre. Vous savez que la terre est couverte de chênes et de roseaux; vous êtes le chêne et je suis un vieux roseau tout courbé par les orages. J'avoue même que la tempête qui a fait périr ce jeune fou de chevalier de la Barre, m'a fait plier la tête. Il faut que ce malheureux jeune homme n'ait pas été aussi coupable qu'on l'a dit, puisque, nonseulement huit avocats ont pris sa deffense, mais que de 25 juges il y en a eu dix qui n'ont jamais voulu opiner à la mort.
J'ai une nièce dont les terres sont aux portes d'Abbeville; j'ai entre les mains l'interrogatoire, et je peux vous assurer que dans toute cette affaire il y a tout au plus de quoi enfermer pour trois mois à st Lazare des étourdis dont le plus âgé avait 21 ans, et le plus jeune quinze ans et demi.
Il semble que l'affaire des Calas n'ait inspiré que de la cruauté. Je ne m'accoutume point à ce mélange de frivolités et de barbarie, des singes devenus des Tigres affligent ma sensibilité, et révoltent mon esprit. Il est triste que les nations étrangères ne nous connaissent depuis quelques années que par les choses les plus avilissantes et les plus odieuses.
Je ne suis point étonné d'ailleurs que la calomnie se joigne à la cruauté. Le hazard, ce maître du monde, m'avait adressé une malheureuse famille qui se trouve précisément dans la même situation que les Calas, et pour laquelle les mêmes avocats vont présenter la même requête. Le Roi de Prusse m'aiant envoyé cent écus d'aumônes pour cette famille malheureuse, et lui aiant offert un azile dans ses états, je lui ai répondu avec la cageolerie qu'il faut mettre dans les lettres qu'on écrit à des rois victorieux. C'était dans le temps que Mr le prince de Brunswick faisait à mes petites pénates, le même honneur que vous avez daigné leur faire. Voilà l'occasion du bruit qui a couru que je voulais aller finir ma carrière dans les états du roi de Prusse; chose dont je suis très éloigné, prèsque tout mon bien étant placé dans le palatinat et dans la Souabe. Je sais que tous les lieux sont égaux, et qu'il est fort indifférent de mourir sur les bords de l'Elbe ou du Rhin. Je quitterais même sans regrêt la retraitte où vous avez daigné me voir et que j'ai très embellie. Il la faudra même quitter si la calomnie m'y force; mais je n'en ai eu jusqu'à présent nulle envie.
Il faut que je vous dise une chose bien singulière. On a affecté de mettre dans l'arrêt qui condamne le chevalier de La Barre qu'il faisait des génufléxions devant le Dictionaire philosophique; il n'avait jamais eu ce livre. Le procez verbal porte, qu'un de ses camarades et lui s'étaient mis à genoux devant le portier des Chartreux, et l'ode à Priape de Pirron; ils récitaient les litanies du Con, ils faisaient des folies de jeunes pages, et il n'y avait personne de la bande qui fût capable de lire un livre de philosophie. Tout le mal est venu d'une abbesse dont un vieux scélérat a été jaloux, et le roi n'a jamais sçu la cause véritable de cette horrible catastrophe. La voix du public indigné s'est tellement élevée contre ce jugement atroce que les juges n'ont pas osé poursuivre le procez après l'exécution du chevalier de la Barre qui est mort avec un courage et un sang froid étonnant, et qui serait devenu un éxcellent officier.
Des avocats m'ont mandé qu'on avait fait jouer dans cette affaire des ressorts abominables. J'y suis intéressé par ce dictionaire philosophique qu'on m'a très faussement imputé. J'en suis si peu l'auteur que l'article Messie qui est tout entier dans le Dictionaire enciclopédique est d'un ministre protestant, homme de condition, et très homme de bien, et j'ai entre les mains son manuscrit écrit de sa propre main.
Il y a plusieurs autres articles dont les auteurs sont connus; et en un mot, on ne poura jamais me convaincre d'être l'auteur de cet ouvrage. On m'impute beaucoup de livres, et depuis longtemps je n'en fais aucun. Je remplis mes devoirs, et je fais fort au delà de mes devoirs. J'ai, Dieu merci, les attestations de mes curés, et des états de ma petite province. On peut me persécuter, mais ce ne sera certainement pas avec justice. Si d'ailleurs, j'avais besoin d'un azile il n'y a aucun souverain depuis L'Impératrice de Russie jusqu'au Landgrave de Hesse qui ne m'en ait offert. Je ne serais pas persécuté en Italie, pourquoi le serais je dans ma patrie? Je ne vois pas quelle pourait être la raison d'une persécution nouvelle, à mois que ce ne fut pour plaire à Fréron.
J'ai encor une chose à vous dire, Mon héros, dans ma confession générale; c'est que je n'ai jamais été guai que par emprunt. Quiconque fait des Tragédies et écrit des histoires, est naturellement sérieux, quelque français qu'il puisse être. Vous avez adouci et éguaié mes mœurs, quand j'ai été assez heureux pour vous faire ma cour. J'étais chenille, j'ai pris quelquefois des ailes de papillon, mais je suis redevenu chenille.
Vivez heureux et vivez longtemps, voilà mon refrain. La nation a besoin de vous. Le prince de Brunswick se désespérait de ne vous avoir pas vu, il convenait avec moi que vous êtes le seul qui aiez soutenu la gloire de la France. Vôtre guaieté doit être inaltérable, elle est accompagnée des suffrages du public, et je ne connais guère de carrière plus belle que la vôtre. Agréez mes vœux ardents et mon très respectueux hommage qui ne finira qu'avec ma vie.
V.
Oserai je vous conjurer de donner ce mémoire à Mr de St Florentin, et de daigner l'appuier de votre puissante protection, et de touttes vos forces? Quand on peut avec des paroles tirer une famille d'honnêtes gens de la plus horrible calamité, on doit dire ces paroles. Je vous le demande en grâce.