27e May 1765 à Genêve
J'affligerai vôtre belle âme en vous disant, mon cher ami, que nous ne pourons pas avoir sitôt l'arrêt de Toulouse.
Je suplie en attendant le déffenseur de l'innocence, de tenir toujours son mémoire tout prêt. Il y a trois ans que cette famille est dans les larmes. On a essuié celles des Calas, c'est à présent le tour des Sirven. Ces horreurs sont d'autant plus éffraiantes qu'elles se passent dans un siècle plus éclairé. C'est un affreux contraste avec la douceur de nos moeurs. Voilà le funeste èffet du systême de l'intolérance. Il y a encor de la barbarie dans les provinces. Je ne plains plus les Calas après le jugement des maîtres des requêtes, et après les bienfaits du Roi, mais les Sirven sont bien à plaindre. Je les recommande plus que jamais aux bontés de Mr de Beaumont.
Après vous avoir parlé des malheurs d'autrui, il faut que vôtre amitié me permette encor de parler de mes peines.
Je lisais ce matin un livre anglais dans lequel se trouve la substance de plus de vingt chapitres du dictionaire philosophique, que l'ignorance et la calomnie m'ont si grossièrement imputé, et pour comble de bétise, il y a dans d'autres chapitres des phrases entières prises de moi mot pour mot. Je me mettrais dans une belle colère si l'âge et les maladies n'affaiblissaient les passions. Tronchin m'exhorte à la résignation pour les maux du corps et de l'âme; il me trouve très bien disposé. Comptez que votre amitié fait ma plus chère consolation.
Voltaire