à Paris ce 27 avril [1765]
Mon cher & illustre maitre, il est arrivé ce que nous espérions au sujet de l'histoire de la destruction des jesuites; les gens raisonnables ont trouvé l'ouvrage impartial et utile, les amis des jesuites même savent gré à l'auteur de n'avoir dit de la société que le mal qu'elle méritoit.
Mais les conseillers de la cour, jansenistes, convulsionnaires, & attendant le Prophète Elie (qui auroit bien dû leur prédire la tuile qui leur tombe aujourd'hui sur la tête) ont crié comme tous les diables; ils voudroient, dit-on, dénoncer le livre au Parlement, mais comme le Parlement y est traité avec ménagement, il y a apparence qu'on leur rira au nez. Ils commencent à perdre de leur crédit, même dans leur compagnie, jugez de l'Etat où sont leurs affaires. Ce qu'il y a de plaisant, c'est que cette canaille trouve mauvais qu'on lui applique sur le dos les coups de bûche qu'elle se fait donner sur la poitrine; il me semble pourtant que des coups de bûche sont toujours des secours& que la place doit leur être indifférente; car il n'importe guères que Pascal soit devant ou Pascal soit derrière. J'enverrai incessamment à frère Gabriel de quoi les faire brailler encore; car pendant qu'ils sont en train de braire, il n'y a pas de mal à leur tenir toujours la bouche ouverte. J'ai commencé par les croquignoles, je continuerai par les coups de houssine, ensuite viendront les coups de gaule, & je finirai par les coups de bâton; quand ils en seront là, ils seront si accoutumés à être battus, qu'ils prendront les coups de bâton pour des douceurs. Mon dieu, l'odieuse et platte canaille! Mais Elie n'a pas longtemps à vivre, & je ne lui épargnerai pas un coup de stilet.
Vous avez sçu l'avanture de la comédie; nous allons vraisemblablement perdre mlle Clairon, qui ne remontera plus sur le théâtre, si elle ne veut pas perdre l'estime des honnêtes gens. Votre maréchal a eu une jolie conduite; son procédé est atroce et abominable; aussi finira t'il par avoir aux yeux du public tout l'odieux & tout le ridicule de cette affaire. Je ne doute pas que plusieurs comédiens ne se retirent, s'ils ne sont pas en effet aussi vils qu'on voudroit les rendre. Vous avez beau faire, mon cher maitre, vos vers passeront à la postérité, mais le nom de votre maréchal n'y passera pas; on lira vos vers; on demandera qui étoit cet homme; & l'histoire dira je ne m'en souviens plus; Il faut avouer que vos Protégés de la cour (car je ne leur fais pas l'honneur et à vous le tort de dire vos protecteurs) ne sont pas heureux en Renommée. Voyez le beau coton qu'ils jettent tous; que dites vous de la belle colonie de Cayenne pour laquelle on a dépensé des sommes immenses? On y a envoyé il y a 18 mois quatorze mille hommes, dont il ne restoit plus que 1500 il y a trois mois; on va ramener tout ce qui reste, & peutêtre n'en reviendra t'il pas 600. Que le Roi est à plaindre d'être si indignement servi, lorsqu'il mérite tant de l'être bien! Helvetius me paroit bien content de son voyage. Adieu, mon cher maitre. Mes respects à made Denis.