La petite vieille velche qui a l'honneur de vous écrire Monsieur meurt de honte de l'être encore dans un siècle où les fammes sur tout sonts devenues très françaises, cepandant des soins plus vifs m'occupent aujourduy. Je crois monsieur devoir vous dire avent de vous conter ma triste histoire, que quoi que fort ignorente j'aime avec passion les livres et les siences, sans autre motif pour justifier cet amour qu'une curiosité insatiable. Je vais donc commancer maintenant. Je fus à confesse à un moine vers le tems de noël selon ma coutume aux grandes festes de l'année. Après une dure réprimande de la part du bon père il me demanda tout en colère si je n'avais pas lu aussi le dictionaire philosophique du même auteur. Justement ce péché me manquait, et au même instant j'en remerciay mon bon ange, mais de retour chez moi, livrée à ma fatale curiosité, qu'ece donc que ce dictionaire me dije? de quoi parle t'il? d'où vient qu'il m'est échapé? où le trouve t'on? mon dieu faite moi la grâce de ne le jamais lire. Mais en finissant cette prières, le diable qui ne veux rien perdre me remet ma coeffe sur la tête, mon bâton dans la main, et me voilà partie pour aller quereller un petit libraire qui me fournit des livres bons et mauvais a deux sols le volume tant que mon douaire peut s'étendre, car je veux que vous sachiez aussi Monsieur, que j'ai l'honneur d'être veuve d'un velche cent fois plus velche que moi. Mais venons au fait. Si vous daignez me lire, je crois vous l'entendre dire de même. Me voilà donc à quereller mon petit libraire avec toute la chaleur d'une famme donc on a trompé les voeux. Calmez vous madame, me répondit il du ton d'un sénateur, nos deux fortunes unies à nos espérances futures ne pourraient jamais composer entre elle la somme du livre que vous me demandéz, il est à cinq louis. Vous dire monsieur ce que je devins à ces foudroyantes paroles, cela est impossible; la pétrification de la famme de Lot, joignez y encore les plus fameuses dont parle Ovide, et vous n'aprocherez pas de l'ettat de l'objet que je ne puis vous peindre. Je n'en sorti que pour repetter cent fois, cinq louis, mon dieu cinq louis, non sans rouler dans ma tête certains petits yeux étonnés qu'on m'a toujours assuré être fort ronds et même un peu eraillés. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit, car vous n'ette pas curieux de mes yeux, et je le suis jusqu'à la folie du dictionaire en question, ouy monsieur, à en courir les chams. Jugez en par la hardiesse d'une famme que bien des revers onts rendu timide, et l'extravagance que je fais en vous écrivant, moi inconnue, moi indigne, moi vivant dans un grenier où je lis Charon, Montagne, Milton, l'histoire général, Micromegas, Zadic, les raclures, les poussières, et les tourbillons de des Cartes, où je vois tourner la terre maintenant, après avoir vu tourner le soleil autrefois, que sai je, tant d'autres fadaises de cette nature qui ne me paraissent plus que de l'oripeau devant ce livre dont on parle à confesse à ceux qui ne l'onts pas lu. Mourir à la peine et de cette peine est une dure extrémité Monsieur, il le faudra pourtant; car de l'emprunter à ses amis, en a t'on lors qu'on est velche et qu'on a les yeux eraillés? Si ce n'est de ceux qui disent que les huguenots sont circonsis, que les Turcs adorent le diable, que le massacre de la St Bartelemi est une oeuvre qui a fait rire les anges, et qui voudraient le voir recommanser sur ceux qui doutent qu'une statue de la vierge versa du sang sous les coups d'un certain helvétien dont on promenne tous les ans la figure dans Paris. J'entans touts jours vingt siècle féminins, touts plus velches les uns que les autres tenir ces propos, sans que j'aye jamais osé seulement en sourire, tant je craints la guere sacrée. Mais vous donc la Zaire a fait couler de mes yeux les premières larmes de tendresse qui soyent sorties de mon coeur, vous par qui j'ai connu l'amour, êtes vous insensible à ma peine, vous qui m'avez peint dans Zamore, Olban, Tancrede, Gengis meme (ouy j'eusse aimé Gengis) le modèle des amants que mon coeur à touts jours désiré? Je ne dis rien d'Orosmane, j'ai combatu mon amour pour lui, son poignard m'a fait peur. Que d'objet d'inconstanses pour moi dans le nombre des héros que vous faites touts les jours! Ils n'aurait que trop justifié sa jalousie et ma mort. Le but de la lettre velche que j'ai l'honneur de vous écrire monsieur, est de me recommander à vos prières pour le repos de mon esprit et de mon coeur, et de vous assurer qu'avec la profonde admiration que vous m'inspirez dès mon berceau, personne n'est plus parfaitement que j'ai l'honneur d'être Monsieur, votre très humble et très obéissante servante
D. de Chamberlin
Le 30 jenier 1765 à Paris rue des douze portes au marais