27e 9bre 1764 aux Délices
Mon cher maître, non agitur de verbibus sed de reis. Je veux que vous me disiez nettement si vous avez jamais rien lu de plus mauvais que ce Testament tant vanté par La Bruiere. Je sais très bien qu'un grand ministre peut faire un détestable ouvrage, même en politique. Il ne faut pas être un grand génie pour faire couper le cou au maréchal de Marillac, après l'avoir fait juger à Ruel par des fripons en robe, vendus à la faveur; Cartouche en aurait fait autant. Mais pour écrire sur les finances et sur le commerce on a besoin de connaissances que le cardinal de Richelieu ne pouvait avoir. Je tiens qu'il n'en savait pas assez pour débiter même toutes les bétises qu'on lui attribue.
Aureste, mon cher maître, condamnez moi, si vous voulez sur inconvenance et marginer; j'aime ces deux mots qui sont expressifs, et qui nous sauvent d'une circonlocution. Inconvenance n'est pas disconvenance, on entend par disconvenance des choses qui ne conviennent point l'une avec l'autre; et j'intends par inconvenance, des choses qu'il ne convient pas de faire. Vous direz que je suis bien hardi, je vous répondrai qu'il faut l'être quelquefois.
Vivez, vous dis-je, et moquez vous de tout; vous êtes plus jeune que moi, car vous avez des yeux, et je n'en ai plus. Made Denis se souvient toujours de vous avec bien de l'amitié, elle vous fait mille compliments. Nous menons une vie agréable et tranquile avec l'héritière du nom de Corneille, et un de vos jésuites défroqué nommé Adam, qui nous dit les dimanches la messe, que je n'entends jamais, et à laquelle il n'entend rien non plus que vous. Vive Ciceron et Virgile.
Vivez, vale.
V.