1764-10-03, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Je crois vous avoir mandé, mon cher frère, que le jeune homme nommé Des Buttes, auteur du dictionaire portatif, s'en était déclaré publiquement l'auteur.
La calomnie qui me l'attribue doit se taire; mais elle ne se taira pas; je connais sa langue de serpent. Il n'y a d'autre parti à prendre que d'écarter le livre des mains des prophanes, et de répandre dans le public que ce n'est qu'un recueil d'anciennes pièces de divers auteurs dont la pluspart même étaient connues. On ne dira rien que de très véritable.

On m'a extrêmement allarmé sur cet ouvrage qu'on m'impute si mal à propos. Ainsi, ne soiez point étonné de la fréquence de mes Lettres.

Aurez vous la bonté de me faire parvenir les remarques sur l'enciclopédie?

J'aurais bien voulu que des Cahusacs et des Démahis n'eussent pas travaillé à cet ouvrage; qu'on se fût associé de vrais sçavants, et non pas de petits freluquets, et qu'on n'eût pas eu la malheureuse complaisance d'insérer à côté des articles des Diderots et des Dalemberts, je ne sçais quelles puériles déclamations qui déshonorent un si bel ouvrage. Je suis si attaché à cette belle enterprise que je voudrais que tout en fût parfait; mais le bon y domine à tel point qu'elle fera l'honneur de la nation, et qu'assurément on doit à Mr Diderot des récompenses.

On dit qu'on a donné des Lettres de noblesse et une grosse pension au sr Joseph Outrequin, pour avoir arrosé le boulevard. Si je travaillais à l'enciclopédie je dirais à l'article pension, Mr Outrequin en a reçu une très forte, et Mr Diderot a été persécuté.

Bon soir, belle âme, qui gémissez comme moi sur le sort de la philosophie.

Ecr: L'inf.