1764-09-19, de Voltaire [François Marie Arouet] à Anne Marie Fiquet Du Boccage.

Je n'ai point voulu vous remercier, madame, sans avoir joui de vos bienfaits.
C'est en connaissance de cause que je vous réitère les sentiments d'estime et de reconnaissance que je vous avais voués dès longtemps. J'ai lu la très jolie édition, dont vous avez voulu me gratifier. Je ne connaissais point vos agréables lettres sur l'Italie; elles sont supérieures à celles de mad. de Montaigu. Je connais Constantinople par elle, et Rome par vous; et grâce à votre style, je donne la préférence à Rome. Je ne m'attendais pas, madame, de voir mon petit ermitage auprès de Genêve, célébré par la main brillante qui a si bien peint les vignes des cardinaux. Les grands peintres savent également éxercer leurs talents sur les palais et sur les chaumières.

Soyez bien sûre, madame, que je suis aussi reconnaissant qu'étonné de l'extrême bonté avec laquelle vous avez bien voulu parler de moi. Je ne nie pas que je ne sois infiniment flatté de voir mon nom dans vos lettres, qui passeront à la postérité; mais mon cœur, j'ose le dire, est encore plus sensiblement touché de recevoir ces marques d'amitié, de la première personne de son sexe et de son siècle. J'ose dire, madame, que personne n'a plus senti votre mérite que moi; mais je ne me bornerai pas à vous admirer, j'aimais votre caractère autant que votre esprit, et l'éloignement des lieux n'a point diminué ces sentiments. Madame Denis les partage, elle est pénétrée comme moi, de ce que vous valez; recevez les hommages de l'oncle et de la nièce, vous êtes au dessus des éloges, vous devez en être fatiguée; on est bien plus sûr de vous plaire quand on vous dit qu'on vous est très tendrement attaché, et c'est bien certainement ce que je suis, avec le plus sincère respect.

V.