1764-08-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à marchese Francesco Albergati Capacelli.

Croiriez vous, Monsieur, que j'ai eu toutes les peines du monde à trouver dans Paris, un éxemplaire du nouveau Corneille commenté?
Il n'y en a plus à Genêve; les libraires n'en avaient point assez imprimé. En un mot, vous en recevrez un de Paris. Mais il faut vous résoudre à ne l'avoir que dans deux mois. Vous savez que les voitures ne font pas une grande diligence.

Nous avons actuellement à Genêve un Italien d'un grand mérite; c'est Mr Tiepolo, ambassadeur de Venise à Paris et à Vienne. Il est très malade entre les mains de Tronchin, et je suis assez malheureux pour ne pouvoir aller le voir, étant plus malade que lui à ma campagne.

On voulait ces jours passés me faire jouer un rolle de vieillard sur mon petit théâtre, mais je me suis trouvé en éffet si vieux et si faible, que je n'ai pu même représenter un personnage qui m'est si naturel. C'est à vous, Monsieur, à vous livrer aux beaux arts et au plaisir, tout celà n'est plus pour moi. Le Roy de Prusse passe donc pour avoir fait une épitaphe Latine à ce pauvre Algaroti. Ce monarque est bien digne d'avoir le don des langues, il n'a jamais apris un mot de Latin. Pour moi, Monsieur, je ne me soucie point d'Epitaphe. J'ai renoncé à toute sorte de vanité pour ce monde et pour l'autre, et je me borne à vous aimer de tout mon cœur.