1764-07-09, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

Dieu me préserve, mon cher frère, d'avoir la moindre part au Dictionnaire philosophique portatif! J'en ai lu quelque chose; celà sent terriblement le fagot.
Mais puis que vous êtes curieux de ces ouvrages impies pour les réfuter, j'en chercherai quelques éxemplaires, et je vous les enverrai par la première occasion.

Frère Cramer vous a dit qu'il y avait un vieux pédant, entouré de vieux in folios qui travaillait de tout son cœur à un ouvrage fort honnête; frère Cramer a raison. Je crois que la meilleure manière de tomber sur l'infâme, est de paraître n'avoir nulle envie de l'attaquer; de débrouiller un peu le chaos de l'antiquité; de tâcher de jetter quelque intérêt; de répandre quelque agrément sur l'histoire ancienne; de faire voir combien on nous a trompé en tout; de montrer combien ce qu'on croit ancien est moderne; combien ce qu'on nous a donné pour respectable est ridicule; de laisser le lecteur tirer lui même les conséquences. Il est certain qu'en rassemblant certains points de l'histoire on peut démêler les véritables sources qu'on nous a longtemps cachées. Celà demande du temps et de la peine, mais l'objet le mérite. L'auteur m'a déjà montré quelques cayers. Il dit que l'ouvrage sera sage, qu'il dira moins qu'il ne pense, et qu'il fera penser beaucoup. Cette entreprise m'intéresse infiniment. Je suis bien loin de songer à des Tragédies. On m'a mandé que les Triumvirs dont vous me parlez, sont d'un jeune ex-jésuite qui a du talent. Les jésuites avaient aumoins celà de bon qu'ils aimaient la comédie et qu'ils en fasaient. Les jansénistes sont les ennemis de tout plaisir honnête.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

Ecr: L'inf.