1764-06-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Pierre Louis d'Aquin de Château-Lyon.

S'il vous était permis, monsieur, de rendre votre Avant-coureur aussi agréable que vos lettres, il ferait une grande fortune.
Je vous supplie de continuer. J'aurai le plaisir d'avoir de vous ce que vous faites de mieux. Vous me contez très plaisamment des anecdotes fort plaisantes. Ne vous lassez pas, je vous prie; songez que je suis malade. Vous êtes médecin, autant qu'il m'en souvient. Vos lettres sont pour moi une excellente recette.

Je n'ai point lu cette lettre de Jean Jacques dont vous me parlez. Moi, persécuteur! moi, violent persécuteur! C'est Janot lapin à qui on fait accroire qu'il est un foudre de guerre. Il y a deux ans que Jean Jacques, auteur de quelques comédies, s'avisa d'écrire contre la comédie. Je ne sais pas trop bien quelle était sa raison, mais cela n'était guère raisonnable.

Jean Jacques ajouta à cette saillie, celle de m'écrire que je corrompais sa patrie, en faisant jouer la comédie chez moi en France, à deux lieues de Genève. Je ne lui fis point de réponse, il s'imagina que j'étais fort piqué contre lui, quoiqu'il dût savoir que les choses absurdes ne peuvent fâcher personne. Croyant donc m'avoir fort offensé, il s'est allé mettre dans la tête que je m'étais vengé, & que j'avais engagé les magistrats de Genève à condamner sa personne & son livre. Cette idée, comme vous le voyez, est encore plus absurde que sa lettre. Que voulez vous? Il faut avoir pitié des infortunés à qui la tête tourne. Il est trop à plaindre pour qu'on puisse se fâcher contre lui.

Permettez moi de souscrire pour votre Avant coureur. Si jamais d'ailleurs, j'obtiens quelque crédit dans le sanhédrin de la comédie, je vous ferai recevoir spectateur, & vous pourrez me siffler à votre aise. Sans cérémonie.

Voltaire