à Ferney 20 mars 1764
Madame,
La bonté que Votre Altesse Sérénissime a bien voulu témoigner dans l'avanture affreuse des Calas est une grande consolation pour cette famille désolée, et le secours que vous daignez luy donner pour soutenir un procez qui est la cause du genre humain, est l'augure d'un heureux succez.
Quand on saura que les personnes les plus respectables de l'Europe s'intéressent à ces innocents persécutez les juges en seront certainement plus attentifs. Il s'agit de réhabiliter la mémoire d'un homme vertueux, de dédommager sa veuve et ses enfans et se vanger la relligion et l'humanité en cassant un arrest inique. Il est difficile d'y parvenir. Ceux qui dans notre France ont acheté à prix d'argent le droit de juger les hommes composent un corps si considérable qu'à peine le Conseil du roy ose casser leurs arrêts injustes. Il a fallu peu de temps pour faire mourir Calas sur la roue et il faut plusieurs années et des dépenses incroiables pour faire obtenir à la famille un faible dédommagement que peutêtre encor on ne luy donnera pas. Heureux madame ceux qui vivent sous votre domination. Il est bien triste pour moy que mon âge et mes maux me privent de l'honneur de venir vous renouveller le profond respect avec le quel je serai toutte ma vie
madame
de votre Altesse Sérénissime
le très humble et très obéissant serviteur
Voltaire