11e Mars 1764 à Ferney
Plût à Dieu, Monsieur, que je pusse aller à Lausanne, je n'aurais pas attendu que vous eussiez la bonté de m'en prier, mais je meurs en détail; les fenêtres de ma maison sont bouchées, et la maison croule, il n'y a pas moien de la transporter.
Tout ce que je peux faire, c'est de partager en idée vos plaisirs et vos succès. Vous aurez à ma place frère Berthier qui s'en va de Versailles à Soleure; il doit être à Lausanne en même temps que ma Lettre; il vous dira peut être qu'il est ressuscité, mais n'en croiez rien, c'est un menteur, il est plus mort que jamais, car il n'y a certainement qu'un homme de l'autre monde qui puisse se retirer chez des Suisses papistes. S'il vous voiait jouer Orosmane, il resterait à Lausanne, et celà seul prouverait qu'il est encor en vie.
Pour moi qui suis prèsque aussi mort que lui, je ne me console pas d'achever ma vie loin de vous. Madame d'Hermanche et toute vôtre famille augmentent mes regrêts. Je n'ai pas, Monsieur, les mêmes excuses pour made Denis que pour moi, elle se porte assez bien, mais est garde-malade. Nous avons une femme grosse qui a besoin de ses secours, enfin, tout se réunit pour nous priver du plus grand plaisir que nous pussions avoir. Aiez la bonté de nous plaindre, et de nous conserver une amitié dont nous sentons tout les charmes, et que nous méritons par le plus inviolable attachement.
V.