à Paris ce 29 Décembre [1763]
Je vous prends au mot, mon cher et illustre maitre, comme Fontenelle prenoit la nature sur le fait.
Mr de la Reyniere, fermier des postes, veut bien me servir de chaperon pour recevoir vos Epitres canoniques; faites moi donc le plaisir de lui adresser dorénavant ce que vous voudrez bien m'envoyer. Je n'ai point reçu L'exemplaire de la Tolérance que vous m'annoncez. Tous les corsaires ne sont pas à Tetuan, et sur la Mediterranée. Cependant frère d'Amilaville me donne encore quelque espérance.
J'ai écrit à frère Hyppolite Bourgelat; j'ai bien de la peine à croire qu'il soit coupable: car c'est un des meilleurs tireurs de la voiture philosophique, et assurément des mieux dressés et qui ont le plus de cœur à l'ouvrage. Mais il ignoroit sans doute ce que ce ballot contenoit, il se trouvoit dans la circonstance critique du changement de ministre de la librairie, il n'a osé rien hazarder, il a craint d'être mis en fourière, & assurément la voiture y auroit perdu beaucoup. Mais pourquoi aussi mrs Cramer n'ont ils pas attendu 8 jours? Puisque vous dites que l'ouvrage du st Prêtre sur la Tolérance a été Toléré des ministres et de personnes plus que ministres, un petit mot dit de leur part à Hippolite Bourgelat, qui ne se pique pas d'être plus intolérant qu'un ministre, auroit levé toute difficulté, & le ballot seroit présentement à Paris, aulieu qu'il est peut être actuellement entre les mains du Roi de Maroc, qui aimeroit mieux un traité de la Tolérance des corsaires que de celle des Religions; et qui peut être fera donner quelques containes de coups de bâton de plus aux Esclaves chrétiens, pour apprendre à nos Prêtres à vivre. S'il y a quelque pauvre Mathurin ou Père de la merci dans les Prisons de Miquenez, vous m'avouerez qu'il se passeroit bien de cette aubaine que mrs Cramer lui auront valu.
Je vous envoye de mémoire, car je n'en ai point gardé de copie, mon petit commerce avec Jean George. Vous verrez qu'il n'est pas long. Jean George n'a pas répondu à la réplique, qui en effet étoit un peu embarassante pour un sot et pour un fripon, à qui on prouve géométriquement qu'il n'est pas autre chose. Sa réponse sera apparemment pour la prochaine Instruction pastorale. Au reste, je vous prie de ne point donner de copie de ce papier, qui n'est que pour vous. Vous m'accusez d'enfouir mes talens par ce que je n'ai pas donné les Etrivières, comme je le pouvois, à ce fanatique Aaron. Prenez vous en au peu de sensation que sa rapsodie a fait à Paris. C'étoit lui donner une existence que de l'attaquer sérieusement; car dans la position où je suis, je ne pouvois l'attaquer que de la sorte, et des plaisanteries auroient mal réussi, surtout après les vôtres. Au reste ne m'accusez point, mon respectable patriarche, de ne pas servir la bonne cause. Personne peutêtre ne lui rend de plus grands services que moi. Savez vous à quoi je travaille actuellement? à faire chasser de Silesie la canaille jesuitique, dont votre ancien disciple n'a que trop d'envie de se débarasser, attendu les trahisons et perfidies qu'il m'a dit lui même en avoir éprouvées durant la dernière guerre. Je n'écris point de lettres à Berlin, où je ne dise que les philosophes de France sont étonnés que le Roi des philosophes, le protecteur déclaré de la philosophie trade si longtemps à imiter les Rois de France et de Portugal; ces lettres sont lues au Roi, qui est très sensible, comme vous le savez, à ce que les vrais croyans pensent de lui; & cette semence produira sans doute un bon effet, moyennant la grâce de dieu, qui, comme dit très bien l'Ecriture, tourne le cœur des Rois comme un robinet. Je ne doute pas non plus que nous ne parvinssions à faire rebâtir le temple des juifs, si votre ancien disciple ne craignoit de perdre à cette négotiation quelques honnêtes circoncis qui emporteroient de chez lui trente ou quarante millions.
Marmontel dans son discours à l'académie, a parlé de vous comme il le devoit, et comme nous en pensons tous. Je me flatte comme vous que c'est une acquisition pour la bonne cause; petit à petit l'église de dieu se fortifie.
Je ne connois point l'ouvrage de Dumarsais dont vous me parlez. S'il est en effet aussi utile que vous le dites, je prie dieu de donner à l'auteur dans l'autre monde un lieu de rafraichissement, de lumière et de paix, comme s'exprime la très ste messe. Mais ce que je connois et ce qui m'a fait très grand plaisir, ce sont deux jolis contes qui courent le monde, et qui seront à ce qu'on m'assure suivis de beaucoup d'autres. J'espère que dorénavant mr de la Reyniere les recevra d'assez bonne heure pour me les faire parvenir promptement. Que le seigneur bénisse & conserve l'aveugle très clairvoyant à qui nous devons de si jolies veillées. Puisse t'il faire longtemps de pareils contes, et se moquer longtemps de ceux dont on nous berce. Il y auroit encore bien d'autres choses dont il pouroit se moquer s'il le vouloit; mais il a, car je suis entrain de citer l'Evangile, la prudence du serpent, et peutêtre aussi la simplicité de la colombe, en croyant de ses amis des gens qui n'en sont guères. Après tout il est bon que la philosophie fasse flêche de tout bois, et que tout concoure à la servir, même les parlemens qui ne s'en doutent pas, et quelques honnêtes gens qui la détestent, mais qui tout en la détestant lui sont utiles malagré eux.
Adieu, mon cher maitre. Je vous embrasse. Mes respects à made Denis.
N. B. Sous l'enveloppe de mr de la Reyniere, vous voudrez bien en mettre une autre, à l'adresse de madame Blondel, rue de la Chaise, fauxb. st Germain; elle me remettra vos paquets.
[on a separate leaf:]
Monseigneur,
On vient de m'apporter de votre part un ouvrage où je suis personnellement insulté. Je ne puis croire que votre intention ait été de me faire un pareil présent. C'est sans doute une méprise de votre libraire, à qui je viens de le renvoyer. J'ai l'honneur d'être avec respect &c.
Réponse de l'Evêque
Ce n'est point par mon ordre, monsieur, que mon instruction Pastorale vous a été envoyée; je vous le déclare volontiers et je suis fâché de cette méprise puisqu'elle vous a déplu. Je le suis aussi de ce que vous vous regardez comme personnellement insulté dans un ouvrage où vous ne l'êtes pas.
J'ai l'honneur d'être avec les sentimens les plus sincères &c.
Réplique
Vous m'avez mis expressément, mgr, dans votre Instruction pastorale, au nombre des ennemis de la religion, que je n'ai pourtant jamais attaquée, même dans les passages que vous citez de mes écrits. J'avois cru qu'une imputation si publique, et si injuste, faite par un Evêque, étoit une insulte personnelle, sans parler des qualifications peu obligeantes que vous y avez jointes, et qui à la vérité n'y ajoutent rien de plus.
Quoiqu'il en soit, je vois par votre lettre, combien votre libraire a été peu attentif à vos ordres, puisqu'il m'a expressément écrit que vous l'aviez chargé d'envoyer votre mandement à tous les membres de l'académie françoise. Vous voyez bien, monseigneur, qu'il étoit nécessaire de vous avertir de cette petite méprise, dont je ne suis d'ailleurs nullement blessé, non plus que de l'insulte; j'espère qu'au moins en cela vous ne me trouverez pas mauvrais chrétien. C'est dans ces dispositions que j'ai l'honneur d'être, mgr, votre &c.