[c. 18] Mars —64
Mon cher frère, je vous envoie l'avis d'Esculape Tronchin.
Tout Esculape qu'il est il ne vous aprendra pas grand-chose. Vous savez assez que la vie sédentaire fait bien du mal aux tempéraments secs et délicats. Si j'étais assez insolent pour ajouter quelque chose aux oracles d'Esculape, je conseillerais les eaux de Plombieres, ou quelques autres eaux chaudes et douces, en cas que la fortune de la malade lui permette de faire ce voiage sans s'incommoder; car il n'est permis qu'aux gens riches d'aller chercher la santé loin de chez eux, et à l'égard des pauvres ils travaillent et ils guérissent. Le voiage, l'exercice, des eaux qui lavent le sang et qui débouchent les canaux, rétablissent prèsque toujours la machine. Je voudrais aussi qu'on fit lit à part; un mari mal sain, et une femme malade ne se feront pas grand bien l'un à l'autre, attendu que mal sur mal n'est pas santé. Voilà l'avis d'un vieux routier qui n'est pas médecin, mais qui depuis longtemps ne doit la vie qu'à une extrême attention sur lui même.
J'ai oublié dans ma dernière lettre de vous prier de m'envoier Macare imprimé, avec la Lettre au grand fauconier. Il faut que ce grand fauconier ait le diable au corps de faire imprimer ces rogatons.
Ne pourai-je jamais m'édifier avec l'instruction pastorale de Christophe? Je suis fou des pastorales depuis celle de Jean George. Elles m'amusent infiniment.
Est-il vrai qu'il y a un jésuite nommé Desnoyers qui a bravement signé le formulaire imposé aux cy devant soi-disant jésuites?
Est-il vrai qu'on a mis au pilori la grosse face de L'abbé Caveirac, apologiste de la st Barthelémi et de l'institut de Loyola? S'il est de la maison de Caveirac c'est un homme de grande qualité; mais il se peut que ce soit un polisson qui a pris le nom de son village. Il me parait que nos seigneurs de parlement vont grand train. Quand serai-je assez heureux pour avoir le libelle de ce prêtre? C'est un coquin qui ne manque pas d'esprit; il est même fort instruit des fadaises écclésiastiques, et il a une sorte d'éloquence.
Frère Thiriot devrait bien s'amuser un quart d'heure à m'écrire tout ce qu'on dit, et tout ce qu'on fait. Vous ne me parlez plus de ce paresseux, de ce négligent, de ce Loir, de cet ingrat, de ce Liron qui passe sa vie à manger, à dormir et à oublier ses amis. Il n'a rien à faire, et vous qui êtes accablé d'occupations désagréables vous trouvez encor du temps pour écrire à vôtre frère. Dieu vous le rende! vous avez une âme charmante.
Ecr: L'inf: