1778-04-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jacques de Rochefort d'Ally.

Je demande bien pardon à madame dixneufans de lui avoir écrit en cérémonie.
Je pourrais avoir bien plus de tort avec vous, monsieur, en vous remerciant si tard de votre très agréable lettre; mais j'ai eu ces derniers jours une fièvre assez violente, suite de deux maladies mortelles dont je suis réchappé.

Je crois que m. l'abbé de Beauregard, prédicateur de Versailles, soi-disant ci-devant jésuite, m'aurait volontiers refusé la sépulture, ce qui est fort injuste: car on dit que je ne demanderais pas mieux que de l'enterrer; et il me devait, ce me semble, la même politesse.

Je ne crois point que le maître et la maîtresse de la maison se soient moqués de cet abbé de Beauregard: c'est bien assez qu'ils ne se livrent pas à la fureur de son zèle, et c'est à quoi tous les honnêtes gens se bornent.

Il est permis à ces pauvres ex-jésuites de haïr tel homme qui les força il n'y a pas longtemps, à restituer à sept enfants mineurs, tous au service du roi, leur bien de patrimoine dont ces bons pères s'étaient emparés. Ce sont de ces sacriléges que les dévots ne pardonnent jamais. J'ai fait rentrer dans leur bien six jeunes officiers dépouillés par eux. Il est vrai que je n'ai point prêché de carême; mais, en vérité, j'ai observé ce carême plus rigoureusement que tous les moines de l'Europe: aussi je suis plus diaphane et plus maigre qu'aucun des anciens disciples de Loyola; je ressemble au Lazare sortant de sa niche.

Je me flatte, monsieur, que votre santé est bonne, et que vos affaires sont arrangées. Je m'intéresserai, jusqu'au dernier jour de ma vie, à tout ce qui peut vous toucher.

Conservez moi des bontés qui font la consolation de mes derniers jours.